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princes un matin ? — Non, sans contredit; mais du jour où l’on prend des mesures contre les suspects, il n’est pas facile de savoir où s’arrêteront les soupçons. Après les princes viendra peut-être le tour de leurs amis et des amis de leurs amis. Dès aujourd’hui, quiconque a refusé de les proscrire est en proie aux dénonciateurs qui l’accusent d’avoir pris part à un complot. Dans une république où les fous rusés feraient la loi, chacun de nous serait exposé à se réveiller un beau matin ami des princes et orléaniste.

Quand une chambre n’obéit qu’à ses nerfs et à ses fantaisies, quand la politique, pour l’intéresser, doit avoir le caractère d’un roman à sensation, quand elle ne s’échauffe que pour des chimères, quand elle ne sait ni se contenir ni se posséder et qu’elle a des effaremens qui se communiquent aux sceptiques eux-mêmes, son désordre d’esprit et ses péchés mettent tout en confusion. Pendant cinq semaines, nous avons vécu dans l’anarchie morale. Ne sachant que dire, le gouvernement ne disait rien, il ne remuait pas, ne soufflait plus. On avait beau approcher une glace de ses lèvres décolorées, il ne s’y formait pas le plus léger nuage pour attester que ce moribond respirait encore. Heureusement ce n’était qu’une syncope, une léthargie, une éclipse ; on existait quoi qu’on n’en eût pas l’air. Mais les éclipses de gouvernement ont toujours des conséquences fâcheuses.

Les habiles qui ont inventé la question des princes savaient ce qu’ils voulaient et ne regrettent rien. Mais les naïfs qui se sont laissé entraîner par eux devraient bien faire un retour sur eux-mêmes, un examen de conscience et se rendre compte du dommage qu’ils causent à la république par le triste emploi qu’ils font de leur éloquence et de leur temps. Les doléances du commerce et de l’industrie le leur disent assez. Rien ne peut prospérer dans un pays où l’on ne sait pas le lundi ce qu’on fera le mardi, parce qu’on y est à la merci d’une assemblée qui est elle-même à la merci de ses lubies. Commerçans et fabricans sont unanimes à se plaindre; il en est qui ont renvoyé la moitié de leur personnel et qui parlent de fermer leurs ateliers. Ils s’en prennent « aux politiciens qui nous tuent, à une majorité parlementaire sans boussole, à des députés qui se croient des Richelieu et qui semblent avoir pour devise : « Périsse la France, pourvu que je sois ministre! » Ils déclarent a que l’épargne devient craintive, que les dépenses se restreignent; que les intérêts s’alarment, que l’inquiétude se répand, que des discussions aussi stériles qu’irritantes et une chambre affolée, incapable d’esprit de suite, sont la cause principale du désarroi des affaires, que la masse des électeurs s’éloigne de plus en plus de la république en la voyant devenir soupçonneuse et anarchiste. »

Aux justes accusations il s’en mêlera bientôt d’injustes. Que la saison