Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 56.djvu/219

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sang du Rédempteur, précieusement recueilli par Joseph d’Arimathie dans un calice d’or que garde sur le Mont-Salvat une confrérie de chevaliers. Ce calice miraculeux formera donc dans la pièce le centre absolu de rayonnement et d’attraction. Celui-là seul qui ne l’aura point cherché trouvera le chemin du Saint-Graal et prendra rang parmi ses chevaliers. À Parsifal, — le simple, l’ingénu, — échoit la vocation. Une première fois le but se dérobe à lui, il y revient et ne l’atteint qu’après une longue série d’épreuves et de puritîcations.

Nous sommes dans un site montagneux de l’Espagne gothique, les trompettes de la forteresse du Graal annoncent l’aurore ; à cet appel, le vieux Gurnemanz et deux varlets couchés sous un arbre se réveillent et commencent leur prière, quand un orageux mouvement dans l’orchestre nous indique l’approche d’un être menaçant. C’est Kundry, la sauvage et terrible Kundry cause de tous les maux qui affligent en ce monde les chevaliers du Graal. Elle voudrait bien réparer ses torts, mais l’enchanteur Klingsor, désormais son maître et l’ennemi de la sainte corporation, s’y oppose. Cette Kundry, paraît-il, n’a pas toujours été la hideuse sorcière que nous voyons ; elle eut ses beaux jours tout comme une autre, il lui arriva même de séduire le pieux roi Amfortas, gardien du Graal et de la sainte lance que le soldat romain plongea au flanc du Christ. Amfortas n’ayant pu résister aux charmes de la sirène, le traître Klingsor a profité d’un moment de faiblesse pour enlever au roi l’arme sacrée et l’en frapper d’un coup sanglant. Depuis ce jour, le deuil règne dans la forteresse ; la blessure ne veut plus se fermer, Klingsor triomphe, et narguant les dévots burgraves, il vient, jusque sur leurs domaines, établir des maisons de fleurs qu’il peuple de beautés profanes d’un voisinage fort dangereux ; plusieurs chevaliers ont déjà succombé à la tentation, délaissant le pauvre roi Amfortas sous prétexte que rien n’est ennuyeux comme les gens qui ne vous entretiennent que de leurs douleurs physiques. Aussi ne peut-on souhaiter assez de voir le sauveur accourir au plus vite. L’oracle a dit que ce serait un inconscient, un simple fou, der reine Thor, que la seule compassion guiderait. Un cygne atteint mortellement traverse l’air et tombe sur la scène ; presque aussitôt Parsifal paraît, il a étourdiment pénétré dans le bois et tiré sa flèche à l’oiseau sacré ; Gurnemanz l’interroge. Serait-ce le prédestiné ? Toujours est-il qu’à ses réponses on croit reconnaître l’Inconscient et cette idée suffit pour décider Gurnemanz à conduire près du roi ce simple et ce fou qui, de lui-même, a trouvé le chemin. On se dirige vers le burg, et c’est ici que se déploie le fameux effet du décor qui marche. Arbres, sentiers, rocs et prairies se déroulent aux yeux du spectateur, tandis que Gurnemanz et Parsifal se contentent de piétiner sur place, et la curiosité cycloramique se double d’un intérêt musical habilement exploité par le maître qui