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surveille son contrepoint à l’égal de ses machines, disposant ses quatre grosses cloches de manière à vous les faire entendre d’abord dans un lointain estompé, vague, sourd, puis accentuant, renforçant la vibration à mesure qu’on avance et lançant son carillon à toute volée, au moment que ses deux pèlerins touchent au seuil du temple. Sous une éblouissante coupole à galeries, aux chants d’un chœur d’enfans invisibles, les chevaliers du Saint-Graal s’assoient à la table de la Communion. Le roi Amfortas est apporté sur un lit de repos, tandis qu’à l’arrière-plan et du fond d’une niche gémit la voix de l’archi-centenaire Titurel, déjà mis au tombeau, mais qui ne peut achever de mourir, soutenu qu’il est indéfiniment par des gouttes miraculeuses qu’on lui administre à doses quotidiennes. Il somme son fils de découvrir le divin calice ; Amfortas obéit, et pendant que les enfans invisibles entonnent en chœur les paroles de la Consécration, le Graal rayonne fulgurant, le pain et le vin abondent et les chevaliers célèbrent la cène. Quant à Parsifal, il se tait et ne bouge, non moins indifférent aux splendeurs de la solennité qu’aux souffrances du roi. — « Sais-tu ce qui se passe là devant tes yeux ? lui demande alors Gurnemanz, et l’ingénu Parsifal se contente de secouer la têie, sur quoi le chevalier le met à la porte en s’écriant : « Eh bien ! donc, va-t’en, et à l’avenir laisse en paix les cygnes, car tu n’es qu’une oie. »

Sans discuter le mauvais goût de l’apostrophe, disons tout de suite qu’il n’y a qu’une opinion sur ce finale : il est superbe ; dès son début, le grandiose vous saisit, vous êtes en puissance du beau. Cet unisson des chevaliers, ce chœur des enfans invisibles, ces voix d’en haut scandant l’oracle au son des cloches, ce décor, cette mise en scène au moment où le sang divin projette sa lueur hors du calice, il est évident que tout cela ne saurait venir que d’un maître, et quand je parle ainsi d’après mes propres impressions puisées dans une simple étude du poème et de la partition, le lecteur comprendra quel a dû être l’effet de la représentation[1]. Je n’en maintiens pas moins toutes mes réserves sur le système, qui me paraît aussi absurde dans Parsifal qu’il l’était dans Tristan et Iseult, dans les Maîtres chanteurs et la tétralogie des Nibelungen. Je l’ai dit vingt fois et je le répète, quand Richard Wagner atteint au sublime, il y arrive, non par des voies à lui particulières, mais par des chemins communs aux autres hommes de génie. Ce finale du premier acte de Parsifal, conception en effet magnifique, pourrait être

  1. Citons pourtant comme correctif le mot de ce musicien voyageur qui nous disait au retour de Bayreuth : « C’est splendide toute cette première partie, musique, drame et spectacle, il n’y a là rien à contester et néanmoins je ne vous cacherai pas qu’en rentrant dans la salle après un de ces longs entr’actes rendus nécessaires par le labeur d’une telle audition, s’il avait pu m’être donné de voir le rideau se lever sur le second acte de Guillaume Tell, j’en aurais éprouvé un grand bien-être. »