Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 56.djvu/288

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

recoupant les méandres sinueux de la rivière presque à sec, arrêtés à chaque instant par des morceaux de rochers ou des troncs d’arbres qu’elle a entraînés dans ses eaux lors de son plein. A la fin, nous voyons devant nous un pont de pierres et de briques, un des trois qui existent sur tout le cours de l’antique Aufidus. La base de ses piles est de construction romaine ; il est facile de voir que depuis l’âge des empereurs le pont a été plusieurs fois refait et plusieurs fois emporté par la violence des crues d’hiver. On l’appelle Ponte di Santa-Venere. C’est ici que la voie de Bénévent à Venusia (Venosa), par Equus Tuticus et le pied des montagnes, appelée Via Herculia d’après Maximien Hercule, franchissait l’Aufidus. Ce pont donne aujourd’hui passage à la grande route de Foggia à Melfi, que nous rejoignons enfin. Pour la prendre, nous remontons sur la berge de la rive gauche, nous franchissons ensuite le pont et nous gravissons une longue côte au milieu des bois. Arrivés au bout, nous sommes au sommet d’une sorte de promontoire d’une hauteur considérable, que contourne l’Ofanto ; de quelque part qu’on regarde, la vue est immense et magnifique.

Quand nous nous tournons du côté d’où nous sommes venus, nous voyons à nos pieds la vallée s’ouvrir presque immédiatement dans îa plaine grise et dénudée où serpente le bas Ofanto, plaine qui, droit devant nous, s’étend sans ondulations jusqu’aux lagunes du Pantano et de Salpi et jusqu’à la mer, en montrant au milieu de ses champs dépourvus d’arbres, sur un mamelon à peine accentué, les maisons blanches de la grosse ville commerçante de Cerignola, où le duc de Nemours perdit en 1503, contre Gonsalve de Cordoue, la bataille qui décida de la possession du royaume de Naples. A l’extrémité gauche de l’horizon, le Gargano, qu’on n’aperçoit qu’en partie, ferme la plaine. Sur la droite, au-delà de l’Ofanto, le terrain se relève un peu ; c’est d’abord un premier plateau sur le bord duquel est bâti Lavello, qui vit mourir Conrad IV en 1252, puis plus loin, dans la direction de la mer, les collines qui portent Canosa, si riche en monumens comme en souvenirs de l’antiquité et du moyen âge, enfin, plus sur la droite, le commencement de la chaîne pierreuse des Murgie di Minervino. En nous tournant dans la direction opposée, notre regard plonge dans la vallée, toujours de plus en plus étroite et profonde, de l’Ofanto supérieur, qui descend des hautes et âpres montagnes de la Basilicate, du côté de Pescopagano, montagnes dont l’aspect a quelque chose de farouche et de presque sinistre qui convient aux repaires d’un peuple d’héroïques brigands, tels qu’étaient les anciens Lucaniens. Les pentes des deux côtés de la vallée, dans la partie la plus voisine de nous, sont couvertes de bois et de champs parsemés de bouquets d’arbres isolés. Au fond, nous apercevons