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leurs bestiaux. À ce moment, tout est bruit et mouvement de fête ; pour augmenter le tumulte, auquel se plaisent tous les peuples méridionaux, des gamins font partir des pétards dans la rue, des cabarets on entend sortir des chants et le bruit des tambours de basque, car la jeunesse va se délasser en dansant du labeur de la journée. C’est là un spectacle qu’on retrouve dans toutes les villes de la contrée, mais on ne s’en lasse pas, et surtout la première fois qu’on en est témoin il ravit le voyageur, qui n’a rien vu de semblable sous nos climats.


II.

La route, incessamment montante et descendante, est assez monotone entre Melfi et Venosa, distante d’un peu plus de six lieues. Pittoresquement située, avec ses maisons blanches et à toits plats en terrasses comme celles d’une bourgade de l’Orient, la ville occupe l’esplanade d’une colline formant promontoire au-dessus de la vallée de la Fiumara, le Daunus des poésies d’Horace. Son origine est antique. Venusia était une des principales villes des Dauniens et en même temps une des places frontières entre l’Apulie et la Lucanie. Au commencement du IIIe siècle de notre ère, époque où son nom commence à apparaître dans l’histoire, elle était tombée au pouvoir des Samnites. C’est sur eux qu’en 292 le consul L. Postumius la prit de vive force, massacrant une grande partie des habitans, qui, nous dit-on, étaient riches et nombreux. L’année suivante, le sénat, appréciant la valeur de la position stratégique, y fonda une colonie de droit latin. Les écrivains qui parlent de sa fondation disent qu’on y envoya vingt mille coloris, chiffre qui semble fort exagéré par rapport à ce qu’étaient d’ordinaire les établissemens de ce genre. En tout cas, la colonie de Venusia, à laquelle on assigna un territoire étendu, pris en partie sur l’Apulie et en partie sur la Lucanie, fut dès ses débuts une des plus considérables qu’eût créées la politique romaine. Elle parvint rapidement à un très haut degré de prospérité, qu’atteste son monnayage commençant, comme celui de Luceria, pendant la période où l’as romain avait encore le poids d’une livre.

Un peu moins de quatre-vingts ans après sa fondation, la colonie de Venusia ne rendit pas à Rome, dans les péripéties de la seconde guerre punique, moins de services que Luceria. C’est là que le consul Terentius Varro se réfugia avec sept cents cavaliers seulement après le dé-astre de Cannes et parvint en quelques jours à rassembler un petit corps de quatre mille hommes, fuyards du champ de bataille ou gens de la ville. Sept ans plus tard (209