Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 56.djvu/435

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que « l’élu de vingt-six départemens, le libérateur du territoire, le fondateur de la troisième république? »

On revient de l’impopularité; on revient aussi du dédain des adorateurs du succès pour un groupe de quelques « entêtés » qui ne consentent à acheter la popularité et l’influence par aucune transaction avec leur conscience. Je ne rappellerai pas l’opposition des « cinq, » Je ne veux chercher mes exemples que dans l’histoire même du centre gauche. J’ai rappelé quelles ont été, pour les libéraux modérés, à toutes les époques de notre histoire parlementaire, les alternatives de bonne et de mauvaise fortune. Lorsque Clément Laurier quitta brusquement l’extrême gauche pour le centre droit, en 1872, Gambetta, son ancien ami, lui demanda, dit-on, pourquoi il ne s’était pas au moins arrêté au centre gauche. « Fi ! aurait-il répondu, le centre gauche, c’est le salon des refusés! » Ou entrait alors dans les mauvais jours qui précédèrent la chute de M. Thiers. La cause du centre gauche paraissait déjà bien ébranlée : on put la croire irrémédiablement perdue un an plus tard, après le 24 mai. Il avait vu comme aujourd’hui des dissidens se séparer de lui et le gros de ses membres se rapprocher de plus en plus de la gauche, plus remuante, mais non moins impuissante. Et cependant deux années ne s’étaient pas écoulées que le « salon des refusés » assurait l’établissement constitutionnel de la république en ralliant à son programme, intégralement maintenu, une importante fraction du centre droit, la totalité de la gauche et la plus grande partie de l’extrême gauche elle-même. Les républicains sincèrement modérés sont retombés à l’état d’un petit groupe; mais qui voudrait affirmer qu’ils ont dit leur dernier mot? La célèbre maxime, si souvent démentie, a sa part de vérité : La France est centre gauche, sinon par une opinion constamment dominante, du moins par la moyenne de ses opinions. Elle s’écarte sans cesse de cette moyenne par des oscillations qui l’emportent parfois jusqu’aux partis les plus extrêmes; mais, dans les grandes crises, elle sait revenir d’elle-même au point fixe d’un libéralisme raisonnable, par un suprême effort de bon sens. Le beau livre de M. Jules Simon ne paraît propre aujourd’hui qu’à consoler les vrais libéraux et à soutenir leur courage : ce sera peut-être, dans quelques années, le programme d’une politique nouvelle pour la France désabusée des équivoques, des vaines agitations, des fautes de tout genre qui ont si gravement compromis son repos, sa prospérité et son honneur.


EMILE BEAUSSIRE.