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grand homme, ami Vernouillet, et la presse entre vos mains va devenir une bien belle institution ! »

Ce fut un grand bruit, en 1861, quand résonnèrent ces maximes, quand sifflèrent ces traits de satire. L’auteur avait voulu, et maint détail le rappelait, que la scène se passât vers 1845. Était-ce pour dérouter les censeurs ou dépister les gens qui chercheraient les originaux de ses peintures? Était-ce parce qu’il prétendait avoir montré seulement les principes d’un mal qui depuis s’était aggravé, et ajoutait-il tout bas : « Si la scène se passait en 1861, ce serait déjà bien autre chose! » Toujours est-il qu’il obtint ce résultat d’être accusé de calomnie envers la société de 1845, envers ses financiers, envers ses publicistes. Et ceux-là furent modérés qui ne l’accusèrent pas d’avoir calomnié, à l’abri d’une antidate dont personne n’était dupe, la société, la finance et la presse de 1861. Ceux-ci furent francs qui dirent tout net: « Nous refusons de nous reconnaître, nous et nos voisins, dans ces portraits, aussi bien que d’y reconnaître nos aînés et les aînés de nos voisins.» Les premiers déclaraient que, si l’argent avait pris chez nous une importance nouvelle et funeste, ce n’était pas vers 1845. Les autres, plus nombreux, étant moins désintéressés, ajoutaient: « Et ce n’est pas non plus de nos jours, en 1861, ni jamais. Ce marquis est plaisant de nous apprendre que l’argent est parce qu’il est! Le bonhomme Charrier lui répond fort bien qu’il a toujours été. Nous ne sommes ni meilleurs ni pires que nos fières: qu’on ne vienne donc pas nous crier anathème pour la nouveauté da quelques vices qui sont éternels. »

En 1883, M. Augier peut se moquer de ces chicanes; il peut se montrer bon prince et dire : « Quand je fis les Effrontés, il y a vingt ans, on niait que j’eusse représenté la société de vingt ans avant ou celle de l’époque. Soit! j’avais représenté celle de vingt ans après! » Et, en effet, celle de vingt ans après, celle d’aujourd’hui, n’osera pas protester. Heureuse d’en être quitte à ce compte! Elle sait bien qu’en la reconnaissant ici on la flatterait. Si vraiment le moraliste, en 1861, avait poussé sa comédie au-delà des vices du jour, cette comédie est restée en-deçà de ceux d’aujourd’hui. A quel moment précis la société s’est-elle trouvée à l’unisson de cette satire? On peut disputer là-dessus ; on peut choisir telle ou telle date plus ou moins rapprochée du commencement ou de la fin de ces vingt-deux dernières années; le progrès en ces matières se déclare souvent par de tels éclats qu’il sera difficile, même après avoir choisi, d’être assuré qu’on ait raison. Mais le certain est que les Effrontés marquent une étape que nous avons dépassée : à quelle heure, on ne saurait le dire, et la question n’offre qu’un intérêt médiocre; aussi bien, en l’état, le plus simple serait-il d’admettre que l’auteur a peint en 1861 ce qu’il voyait. Mais, pour de certains yeux, qui servent certains esprits, voir c’est prévoir: ils ne voient que ce qui aura des suites. M. Augier, en 1861, après