Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 56.djvu/471

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

discréditer. D’autre part, la fable même de l’ouvrage est assez intéressante pour qu’on craigne de regretter la parabase qui menaçait de l’entraver. Si l’on songe que cette fable, en somme, n’est que l’occasion d’une étude de mœurs, et que cette étude est la plus juste, la plus pénétrante qu’on ait faite sur la scène du vice particulier de notre époque ; si l’on prend garde que cette étude est écrite du style le plus sain, le plus libre et le plus national dont aucun auteur dramatique ait écrit depuis les classiques, on accordera que le succès de cette reprise est un bon résultat de l’expérience que les Français ont faite d’eux-mêmes depuis l’apparition de cette comédie. C’est peut-être le seul.

On me pardonnera de ne pas comparer longuement l’interprétation nouvelle des Effrontés à l’ancienne. M. Got a repris le rôle de Giboyer, M. Delaunay celui d’Henri. Je crois volontiers qu’en 1861 l’un n’avait pas plus de vigueur, d’autorité, de décision et de verve, ni l’autre plus de jeunesse, plus de grâce, plus d’aisance et de chaleur. M. Febvre joue Vernouillet ; il lui prête la carrure, l’aplomb d’un de nos coquins de ces temps nouveaux : c’est un épouseur plus redoutable que ne devait paraître M. Régnier. M. Thiron fait le marquis d’Auberive; il est, à son ordinaire, agréable et malin; il n’a pas la sécheresse, la raideur, l’air de race qu’il y faudrait; Samson, à ce qu’on assure, était mieux doué pour ce personnage. Je crois volontiers que Provost représentait excellemment Charrier ; je doute cependant qu’il fût amusant avec plus de naturel et pathétique avec plus de bonhomie que M. Barré dans le cinquième acte. M. Laroche, dans le rôle de Sergine, fait-il regretter Leroux? Par bonheur, on ne témoigne pas que M. Leroux y fût parfait. Il serait puéril plutôt que méchant de comparer Mlle Tholer, qui fait la marquise, à Mme Plessy, qui créa ce rôle. Mlle Tholer est jolie, intelligente et laborieuse; elle acquiert plus de talent qu’elle n’a de génie; qu’elle prenne garde d’en acquérir trop : la pire manière pour une voix mélodieuse de sembler monotone est de devenir nuancée comme le chant d’un oiseau savant. On avait applaudi Marie Royer dans le joli rôle de Clémence; Mlle Durand m’y paraît aimable et distinguée. Mlle Édile Riquier a repris le rôle qu’elle avait créé dans le bal du quatrième acte : cela prouve que la valse a deux temps... Que tel jeu de mots de l’auteur sur le nom de Mme d’Isigny, — c’est justement le personnage de Mlle Riquier, — serve d’excuse au critique !


LOUIS GANDERAX.