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les processions populaires de l’esplanade des Invalides et même par quelques pillages, cette journée n’est visiblement, en effet, qu’un commencement ; elle s’est renouvelée depuis autour de l’Hôtel de Ville, elle menace de se renouveler encore le 18 mars, pour l’anniversaire de l’insurrection de la commune. Et voilà, en dehors des causes industrielles qui disparaissent dans le tourbillon, le résultat d’une politique qui, après s’être flattée pendant des années d’avoir rallié sous son drapeau ces « masses profondes » dont on a si souvent parlé, se trouve tout à coup en face des forces qu’elle a déchaînées, d’un péril qu’elle a créé!

Le fait est, que pour l’instant, le gouvernement se trouve entre cette agitation de la population ouvrière qui reprend l’habitude des manifestations bruyantes de la rue, et cette agitation révisionniste inaugurée, encouragée par des politiques fort impatiens, à ce qu’il paraît, de crises nouvelles. Comment se tirera-t-il de toutes ces difficultés et fera-t-il face à des dangers qui ne le menacent pas seul, qui sont aussi une menace pour la paix publique, pour le pays tout entier? C’est là toute la question aujourd’hui. Le ministère, il est vrai, a fait jusqu’ici bonne contenance; il n’a pas craint de mettre sa police en mouvement, de se servir de la force, de disperser les manifestations, et il semble assez disposé à ne pas se laisser surprendre par l’imprévu d’une journée nouvelle. M. le président du conseil, nous ne le méconnaissons pas, a de la résolution, de l’énergie, la « ténacité vosgienne, » comme il le disait récemment, et il n’est pas homme à rendre les armes devant la sédition, lui qui tenait le dernier à l’Hôtel de Ville le soir du 18 mars 1871 et qui proposait de tenir à toute extrémité. M. Jules Ferry a évidemment quelques-unes des qualités de l’homme fait pour le pouvoir. Malheureusement il semble ne pas se douter de ce qu’il y a de faux dans une situation où il se sépare par tactique des modérés qui pourraient être pour lui l’appui le plus efficace, et où il se condamne lui-même à chercher des alliés aux confins du radicalisme. Il l’a dit l’autre jour, il veut fonder un gouvernement, à ce qu’il assure, et il va se placer à l’extrémité de la gauche! Il en résulte qu’il s’oblige à un système permanent de connivences, de concessions, qu’il déguise sous une certaine hauteur de langage, qui ne sont pas moins réelles et qui ne lui assurent même pas la confiance de ses dangereux alliés. Avec cela on peut vivre quelque temps peut-être; on peut aussi disparaître brusquement dans quelque échauffourée parlementaire, après un certain nombre de discours et de démonstrations d’autorité qui n’auront suffi ni à fonder un gouvernement, ni à créer la stabilité dans la république ni à ramener la confiance dans les esprits. Après tout, si les affaires de la France ne sont pas dans une phase des plus favorables, les affaires de l’Europe ne sont pas non plus bien brillantes. Elles ne se compliquent pas seulement de toutes ces questions