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universelle au-delà des Pyrénées. Depuis quelques jours, en effet, il n’est question à Madrid que de l’état de l’Andalousie, des sociétés secrètes qui se sont développées dans ces régions, de la vaste et redoutable affiliation qui s’est formée sous le nom bizarre de la « Main noire, » des méfaits et des crimes par lesquels s’est déjà manifestée une conspiration occulte longuement préparée. Toutes les autorités publiques, — gouverneurs, juges, garde civile, — sont en campagne et multiplient les arrestations sans savoir si on a mis la main sur les vrais coupables. Le gouvernement s’est hâté de prendre des mesures militaires pour seconder l’action répressive des autorités locales et pour contenir au besoin la sédition si elle éclatait. Le parlement s’est occupé de ces affaires de l’Andalousie, non sans témoigner une assez vive anxiété. Au fond, qu’est-ce que ce mouvement qui, selon toute apparence, a des ramifications dans d’autres parties de la péninsule, mais qui semble s’être concentré, pour le moment, dans les provinces andalouses? C’est un mouvement qui se rattache sans doute par son organisation, par ses mots d’ordre, au travail des propagandes européennes, à l’internationale, et qui en même temps tient à bien des causes locales, à des habitudes traditionnelles, aux conditions morales et industrielles de ces contrées. En d’autres termes, ce qui se passe aujourd’hui à l’extrémité méridionale de l’Espagne est l’explosion d’une anarchie séculaire qui emprunte une force nouvelle à la discipline des sectes modernes.

L’Andalousie, il ne faut pas s’y tromper, est depuis longtemps un terrain tout préparé pour les propagandes révolutionnaires et socialistes. Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’il s’est produit par intervalles dans cette partie de l’Espagne ce qu’on pourrait appeler un socialisme pratique. Toutes les fois qu’il y a eu des révolutions, des insurrections militaires ou politiques, — et elles ont été nombreuses depuis un demi-siècle, — il y a eu des déprédations, des irruptions de paysans dans les propriétés, des ravages et même des partages de terres qui duraient autant que la révolution et finissaient avec elle. Au temps de la reine Isabelle, le général Narvaez a eu dans une circonstance à réprimer un de ces mouvemens agraires dans son pays même, autour de Loja. C’est un phénomène particulier à ces contrées où la constitution agricole s’est peu modifiée depuis des siècles, où il n’y a qu’un petit nombre de grands propriétaires vivant loin de leurs terres et un vaste prolétariat rural employé à l’exploitation, gouverné par des intermédiaires, régisseurs ou fermiers. Un des grands possesseurs du sol, qui est député de Cordoue, le duc d’Almodovar, disait récemment devant le congrès : « Les faits qui viennent de se passer n’ont pas surgi tout à coup; il n’est pas absolument vrai qu’ils soient dus uniquement à des doctrines venues du dehors. La propriété en Andalousie est concentrée en un petit nombre de mains, et son exploitation est confiée à un petit nombre de personnes, de sorte que, dans la plus grande