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y avait encore « le cadet à la perle, » le gros comte d’Harcourt, qui avait déjà commandé et avec assez de bonheur sur terre et sur mer : homme de haute naissance et de mine guerrière, très vigoureux aux attaques, inspirant par sa valeur une grande confiance au soldat, mais sans discernement, acceptant toutes les idées et disant « Laissez faire, » comme d’autres ont dit : « Débrouillez-vous ; » en somme, de trop peu d’étoffe pour remplir des missions difficiles.

De toutes les responsabilités qui incombent à ceux qui ont charge des affaires publiques, il n’en est guère de plus lourde que le choix des commandans d’armée. Il n’est rien de plus délicat, de plus difficile, de plus grave que de bien prendre la mesure des généraux en chef. Richelieu les chercha toujours : il en prit dans l’église, dans sa famille, parmi les inconnus, les déplaçant, les changeant, essayant de soutenir ses créatures, quelquefois trop longtemps, mais les brisant quand il reconnaissait son erreur ; envoyant ceux-là au bourreau, ceux-ci à la Bastille, ensevelissant les autres dans les sinécures. Vers la fin de sa vie, il eut la main heureuse : il poussait Gassion et Fabert, les employant avec un grand tact, selon leur aptitude : au premier le commandement de la cavalerie, au second le gouvernement de Sedan, politique et militaire. Enfin, il trouva deux hommes, Henri de La Tour d’Auvergne et Louis de Bourbon, duc d’Anguien ; l’histoire a dit Turenne et Condé.

Le premier avait trente et un ans ; le second dix années de moins. Celui-ci appartenait à une de ces branches cadettes de la race royale, objets séculaires de la jalousie des premiers ministres ; celui-là était d’une maison souveraine dont la turbulence avait maintes fois justifié la convoitise d’un puissant voisin, et dont le chef actuel venait à peine d’échapper au billot en livrant la capitale de son petit état. Jamais Richelieu ne s’était montré plus hardi dans ses choix ; jamais il n’avait mieux jugé. Turenne avait déjà un renom militaire et une expérience de guerre qui manquait au jeune volontaire d’Arras et de Perpignan. Mais le cardinal savait tout ce qu’Anguien avait acquis par l’étude ; il l’avait suivi lorsque, presque enfant, il remplaçait son père en Bourgogne, montrant dans la garde d’une frontière menacée une vigilance, une application assidues, une aptitude précoce ; il avait entendu louer sa valeur, son coup d’œil par ceux qui l’avaient vu l’épée à la main en 1640. Il avait d’ailleurs lié la fortune de ce jeune prince à la sienne ; il l’avait trouvé dévoué, calme, résolu dans la grande crise de Perpignan, et s’il avait dû courber sa fierté, il avait apprécié tout ce qu’il avait d’autorité dans le caractère. — Le cardinal avait été plus surpris et plus touché de l’attachement que Turenne avait montré à sa cause au moment même où le duc de Bouillon s’engageait avec les conspirateurs. C’est au retour du