Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 56.djvu/503

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les retrouver pour les faire concourir aux opérations qu’elle comptait diriger en personne. Les ordres de détail insistaient sur cette séparation, traçant une limite exacte entre les quartiers de l’armée de Picardie et les logemens assignés aux troupes du marquis de Gesvres qui, dans certaines pièces, reçoivent le nom d’armée de Champagne.

Ces instructions, à la fois vagues et compliquées, étaient plus faites pour rendre celui auquel elles s’adressaient indécis et timide que pour diriger l’inexpérience d’un général de vingt ans. La disposition en deux groupes sur la Somme et sur l’Oise présentait quelques avantages, encore plus de périls. Comme premier rendez-vous, elle était judicieuse, facilitait les subsistances, entretenait l’ennemi dans un certain doute sur la direction des mouvemens ultérieurs, permettait de serrer sur la droite ou sur la gauche ; chacun des deux groupes pouvant servir de base à la concentration générale. L’écart entre les deux ailes était excessif ; là était le danger, accru encore par l’organisation du commandement. Gesvres avait des pouvoirs distincts et recevait de Paris des ordres directs. Il lui était bien prescrit de déférer aux réquisitions du duc d’Anguien ; mais il était chargé d’observer le Luxembourg, de veiller à la sûreté de la Champagne et d’en garnir les places ; enfin il devait se tenir prêt à soutenir le maréchal de La Meilleraie posté à Langres avec un rassemblement de troupes qui, bien que décoré du nom d’armée de Bourgogne, était en nombre insuffisant pour conquérir la Franche-Comté et se saisir de la ville impériale de Besançon, opération que le roi se réservait de diriger en personne ; or, tant que Louis XIII eut un souffle de vie, rien ne put lui faire abandonner cette chimère. C’était un brillant officier que le marquis de Gesvres ; dans la force de l’âge, ardent, bien en cour, capitaine des gardes, aspirant à la dignité de maréchal de France et fort pressé de voir réussir des prétentions déjà appuyées sur de beaux services[1]. Laissé en quelque sorte arbitre de ses mouvemens, il pouvait, sans manquer au devoir, céder au désir de manœuvrer seul ou de conduire ses troupes sous les yeux du roi. Au moment le plus critique, le commandant en chef de l’armée de Picardie se trouvait exposé à voir sa droite

  1. Louis-François Potier, marquis de Gesvres, d’une famille de robe très puissante, descendant du secrétaire d’état bien connu de Henri III et de Henri IV, né en 1610, se distingue très jeune devant La Rochelle, sert pendant trois ans en Hollande ; toujours et très activement employé depuis son retour en France (1632). Mestre de camp de cavalerie et maréchal de camp en 1638 ; très brillant à Fontarabie, grièvement blessé au siège d’Arras et dans mainte occasion (trente-deux blessures, disait-on), reçoit en 1641 le régiment d’infanterie du malheureux Saint-Preuil. Capitaine des chasses et capitaine des gardes en survivance de son père, récemment créé duc de Tresmes. Tué le 4 août 1643.