Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 56.djvu/513

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

remonte la vallée pour se jeter dans Guise, à 45 kilomètres de Chauny et plus en avant dans Landrecies et La Capelle, chacune de ces places étant à 25 kilomètres de Guise.

Au commencement de mai, le temps devint meilleur. Le plan des Espagnols ne se dessinait pas encore, mais ils remuaient, c’était certain. Quand ils quittèrent leurs cantonnemens de Béthune pour affluer à Garvin, la sérénité du maréchal de Guiche se troubla un moment ; il poussa un cri d’alarme et demanda du secours. Ailleurs on se méprenait également et le Boulonnois était signalé comme le véritable objectif de l’ennemi. Sans s’émouvoir, Anguien acheva ses préparatifs. Dès qu’il eut donné tous ses ordres, réuni ses moyens d’action, il leva ses quartiers et occupa le poste d’Ancre, aujourd’hui Albert, qu’il avait déjà reconnu et choisi (9 mai). Il n’avait pas l’intention d’attendre que l’ennemi vînt complaisamment l’y chercher ou le laissât s’y morfondre ; c’était un premier pas qui le rapprochait de « tous les costés où les ennemis pourront tourner la teste. » Le roi l’a trouvé bon[1] : Gassion amena ses chevau-légers au rendez-vous ; le maréchal de Guiche laissa sortir d’Arras le contingent demandé à cette grosse garnison. Les portes de la place n’étaient pas refermées qu’un remords le saisit : « Prenez garde à la contremarche, écrit-il ; rien de plus aisé qu’un retour de l’Escaut sur l’Artois ; il faudrait voir à quoi aboutiront ces finesses. » Mais le duc d’Anguien a pris son parti ; le détachement d’Arras, arrivant par Bapaume, le trouve en route. Il se dirige sur la vallée de l’Oise, marchant à la tête de ses troupes, dans un pays ondulé, facile à traverser, sur un sol qui sèche vite et qui commence à verdir ; aussi va-t-il rapidement. Son convoi suit le long de la Somme une route parallèle, escorté par le régiment des gardes écossaises, que l’étiquette militaire tient éloigné de la colonne principale, son rang n’étant pas encore réglé. Le 12 mai, l’armée s’arrête aux environs de Péronne et le quartier-général est à Moislains[2]. Les troupes « sont en bon estat ; » elles ont meilleure apparence depuis qu’elles « sont ensemble, » et qu’elles cheminent ;

  1. M. le Duc ayant donné avis qu’il allait se mettre en campagne du côte de Doullens pour être prêt à se porter du côté où les ennemis tourneraient la tête, le roi lui fit connaître par le secrétaire d’état qu’il approuvait cette résolution ; la minute est du 8 mai. Chacun des deux généraux en chef poursuit un dessein plus vaste que la conquête d’une ville ou d’un lambeau de territoire : l’Espagnol peut concentrer toutes ses forces sans se laisser deviner là où l’ennemi est le moins préparé ; il tient à choisir son terrain, à frapper avec une grande supériorité numérique ; le Français cherche à rallier tout ce qu’il peut attirer à lui pour joindre l’Espagnol avant que celui-ci ait remporté un premier succès et réuni toutes ses troupes. Le dessein du premier est ingénieux ; celui du second est simple et ferme.
  2. Huit kilomètres au nord du Péronne.