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nous saisissons les choses directement et à l’endroit où elles sont, les grains chez le cultivateur, les fourrages chez l’herbager, les bestiaux chez l’éleveur, le vin chez le vigneron, les peaux chez le boucher, les cuirs chez le tanneur, les savons, les suifs, les sucres, les eaux-de-vie, les toiles, les draps et le reste chez le fabricant, l’entrepositaire et le marchand. Nous arrêtons les voitures et les chevaux dans la rue ; nous entrons chez l’entrepreneur de messageries ou de roulage et nous vicions ses écuries ; nous emportons les batteries de cuisine pour avoir du cuivre ; nous mettons les gens hors de leur chambre pour avoir des lits ; nous leur ôtons le manteau des épaules et la chemise du dos ; nous déchaussons en un jour 10,000 particuliers dans une seule ville[1]. En cas de besoin public, dit le représentant Isoré, « tout appartient au peuple, et rien aux individus. »

En vertu du même droit, nous disposons des personnes comme des choses. Nous décrétons la levée en masse et, ce qui est plus étrange, nous l’effectuons, au moins sur plusieurs points du territoire et pendant les premiers mois ; eu Vendée et dans les départemens du Nord et de l’Est, c’est bien toute la population mâle et valide, tous les hommes jusqu’à cinquante ans que nous poussons par troupeaux contre l’ennemi[2]. Nous enrôlons ensuite une génération entière, tous les jeunes gens de dix-huit à vingt-cinq ans, presque un million d’hommes : peine de mort contre quiconque manque à l’appel ; il est assimilé aux émigrés, ses biens sont confisqués, ses père, mère, ascendans traités en suspects, partant incarcérés et leurs biens séquestrés[3]. — Pour armer, habiller, chauffer, équiper nos recrues, il nous faut des ouvriers : nous convoquons au chef-heu les armuriers, les forgerons, les serruriers, tous les tailleurs, tous les cordonniers du district, « maîtres, apprentis et garçons[4] ; » nous mettons en prison ceux qui ne viennent pas ;

  1. Archives nationales, AFII, 92 (Arrêté de Taillefer, 3 brumaire an II, à Villefranche-l’Aveyron). —De Martel, Étude sur Fouché'', 368 (Arrêté de Fouché, Collot d’Herbois et Delaporte ; Lyon, 21 brumaire an II). — Moniteur, XV, 384 (Séance du 19 brumaire). Lettre de Barras et Fréron, datée de Marseille. — Moniteur, XVIII, 513 (Arrêtés de Lebas et Saint-Just à Strasbourg, 24 et 25 brumaire an II). — Lettre d’Isoré au ministre Bouchotte, 4 novembre 1793 (Legros, la Révolution telle qu’elle est.) — Le principe de toutes ces mesures a été posé par Robespierre, dans son discours sur la propriété (24 avril 1793) et dans sa déclaration des droits adoptée à l’unanimité par la société des Jacobins (Buchez et Roux, XXVI, 93 et 130).
  2. Rousset, les Volontaires, p. 234 à 254.
  3. Décret du 22 novembre 1793. — Mêmes rigueurs dans l’arrêté du Directoire du 18 octobre 1798.
  4. Moniteur, XIX, 631. Décret du 14 ventôse an II. — Archives nationales, DSI, 10. Arrêté des représentans Delacroix, Louchet et Legendre ; Pont-Audemer, 14 frimaire an II. — Moniteur, XVIII, 622. Décret du 18 frimaire an II.