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où l’assistance publique disparaîtrait, les trottoirs seraient envahis par les infirmes, les maladies épidémiques s’empareraient de la ville, l’infanticide augmenterait dans des proportions redoutables et l’émeute en permanence enfoncerait la porte des boulangers. En ne marchandant pas trop les ressources qu’elle met à la disposition des grands maîtres de sa bienfaisance, la ville de Paris protège les misérables et se protège elle-même. L’acte est bon, mais il est imposé par la prudence et par le souci de la conservation personnelle. Le budget de l’assistance publique, qui paraît considérable, est insuffisant, lorsqu’on le compare à la multiplicité des besoins auxquels il doit répondre. Tel qu’il est néanmoins, il représente un instrument de préservation ; c’est le gâteau de miel : il ne rassasie pas Cerbère, il l’apaise[1].

L’Assistance publique est habile ; elle a pratiqué les hommes, elle les connaît, elle a pu apprécier leurs bonnes et leurs mauvaises qualités ; elle utilise les unes et les autres au profit de ses intérêts ; aux dons qu’elle reçoit elle met une étiquette qui n’a rien de platonique. Elle sait que la vertu abstraite est rare et que l’on aime à jouir du bénéfice de ses belles actions. Cela est naturel : Dieu me garde de blâmer les personnes généreuses que leur générosité rend célèbres ! Il y a bien des asiles, bien des maisons de refuge, bien des hôpitaux même, qui n’existeraient pas si le nom des fondateurs, gravé sur le marbre en lettres d’or, ne resplendissait au fronton des édifices et n’apprenait à tous qu’un personnage charitable a consacré, par testament, ses richesses posthumes au soulagement des malheureux. Ceux-ci en profitent, cela seul est important ; que le bienfaiteur soit béni !

Peut-on dire d’une façon, absolue que la vraie bienfaisance est la bienfaisance anonyme ? Je ne sais ; en tous cas, elle est plus méritoire et ne trouve qu’une récompense intime et dont nul n’est témoin. Il me semble que l’ombre qui enveloppe une bonne action la rend meilleure et lui donne une chaleur dont les cœurs sont réconfortés. Il y a des femmes du monde, jeunes et jolies, faites pour tous les plaisirs, habituées à tous les luxes, sollicitées par tous les enivremens, qui visitent les pauvres, soignent les malades, bercent les enfans sans mère et ne s’en vantent pas. On dirait qu’elles sont fortifiées par le mystère même de leur dévoûment ; au milieu des tentations qui les assaillent, elles traversent la vie sans faillir, soutenues par l’énergie intérieure qui les a faites charitables et discrètes. Au temps de ma jeunesse, il en est que j’ai surprises

  1. Pour l’exercice de 1881, la dépense de l’Assistance publique s’est élevée à 38,674,915 francs. Le nombre des administrés traités dans les établissemens a été de 140,699 ; celui des individus secourus à domicile de 213,900 ; soit un total de 354,599.