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dans la maison qui regardait un grand jardin, vous étiez triste et songeuse, comme si vous aviez porté la lassitude des jours trop longs ; quand je vous ai rencontrée après plus de vingt ans, dans votre infirmerie, vous m’avez semblé alerte, enjouée, prête à rire et cherchant à égayer vos malades. Est-ce donc que la sérénité se trouve là où vous êtes ? Sœur Marie, ma cousine et ma sœur, ces lignes ne tomberont jamais sous vos yeux, ce qui me permet de vous dire : Vous êtes une sainte !

Est-ce l’âme de Paris qui s’est réfugiée dans ces maisons ? Parfois, je l’ai cru ; âme bénigne, adjuvante, désireuse de la perfection qu’elle atteint parce qu’elle est parvenue à s’isoler du Paris sensuel dont elle ramasse les débris et recueille les rebuts. Il est consolant de savoir que, pendant que l’oisiveté parisienne mène le branle des bacchanales, la charité humblement vêtue et la main ouverte veille, prie, se prodigue et brille au-dessus de nos sottises, comme un fanal au-dessus d’un abîme. Les maisons où l’œuvre de salut et d’hospitalité est poursuivie avec une persévérance que seule peut-être la foi sait soutenir, sont nombreuses à Paris, car là, plus que partout ailleurs, la misère est active, les chutes sont fréquentes et les secours sont urgens. Je ne puis étudier toutes ces maisons bénies où nul n’a frappé en vain ; j’en choisirai quelques-unes qui peuvent servir de type et d’exemple. Je dirai comment elles ont été fondées, à quel genre spécial d’infortune elles portent secours, à l’aide de quelles ressources elles réussissent à remplir leur mission et, tout en conservant la discrétion, qui n’est que correcte dans un pareil sujet, je dirai par quels efforts souvent pénibles, parfois rebutans, elles parviennent, non-seulement à subsister, mais à prospérer, pour le plus grand bien des malheureux. Je parlerai d’abord des Petites-Sœurs des Pauvres.


I. — A SAINT-SERVAN.

Qui ne se souvient de la parabole du grain de sénevé, si petit qu’on ne l’aperçoit pas lorsqu’il tombe en terre, et d’où sort une plante si touffue, que les oiseaux du ciel peuvent dormir à son ombre ? C’est l’image de l’œuvre des Petites-Sœurs des Pauvres, si humble au début, qu’elle en semblait honteuse, et qui a pris les proportions d’un bienfait public. Elle est née dans un pays accoutumé à lutter contre les élémens et souvent visité par le malheur. Comme un arbre de bénédiction, elle a germé dans la petite ville de Saint-Servan, la sœur jumelle de Saint-Malo ; les deux villes se touchent ; le flot les sépare, le jusant les réunit ; entre les maisons de l’une et les murailles de l’autre s’évase le port marchand où le chevalier