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dans des lieux difficiles d’accès et que sépare d’ordinaire une journée de marche pour un piéton. A part quelques maisons bourgeoises, le bourg est possédé tout entier par un grand propriétaire, en général celui dont les paysans cultivent les domaines. A son égard, ils sont des tenanciers sans bail fixe, sans garantie d’aucune sorte, que la simple volonté du propriétaire ou de son intendant peut, du jour au lendemain, expulser de leur demeure et jeter dehors sans travail et sans ressource.

J’ai parlé ailleurs[1] avec détail de la misère agricole dans l’ancien royaume de Naples, que signalaient en même temps les voix autorisées de M. E. de Laveleye et de M. Adert, de Genève. J’ai tracé des souffrances et de la condition du paysan dans ces provinces que la nature a faites si fécondes et qui devraient être un véritable éden, un tableau dont quelques personnes de ce côté des Alpes ont pu croire les couleurs trop chargées. En Italie, on n’en a pas jugé ainsi ; personne n’a contesté les faits que j’avais articulés. Les journaux ont reproduit ce que j’en avais écrit ; on l’a traduit en brochure, et le retentissement en a été suffisant pour qu’en certains endroits, dans le dernier voyage que je viens de faire, des délégations des sociétés populaires soient venues me remercier d’avoir mis la plaie à nu avec autant de franchise. Je ne recommencerai pas ce lamentable tableau, et l’on me permettra d’y renvoyer le lecteur. Il me suffira de dire que les misères que j’y ai décrites sont peut-être plus aiguës, plus poignantes dans la Basilicate que dans aucune autre province. En effet, il n’en est pas qui soit plus exclusivement livrée au régime des latifundia, avec tous les faits déplorables qui le constituent, le petit nombre des propriétaires, l’immensité exagérée de leurs domaines, l’absence de la petite et de la moyenne propriété. Nulle part on ne souffre plus de l’absentéisme général de l’aristocratie territoriale, qui vit dans les grandes villes, à Naples ou à Rome, où elle possède des palais imposans, des villas somptueuses avec toutes les recherches du luxe le plus raffiné, mais qui, au lieu de s’occuper de ses vastes propriétés rurales, évite de les visiter et en laisse le soin à des intendans. Dans ces conditions, en effet, l’unique souci du grand propriétaire est de tirer un revenu fixe de ses domaines sans avoir à s’en occuper autrement que pour en toucher la rente que souvent son luxe besogneux lui fait chercher à anticiper pour soutenir une vie de dépenses au-delà de ses ressources réelles. Surtout il tient à n’avoir aucune avance coûteuse à faire pour l’amélioration de propriétés auxquelles il ne s’intéresse aucunement. C’est là ce qui le fait s’en tenir à un système d’exploitation qui donne la prédominance au

  1. La Grande-Grèce, t. I, p. 172-185.