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maison de Hauteville, un style d’architecture original et nouveau, le véritable style italo-normand, où les influences normande et bourguignonne se marient avec les traditions byzantines, où la décoration des églises est en grande partie puisée de l’autre côté des Alpes, mais où leurs plans sont franchement italiens, n’admettant, par exemple, jamais cette circulation autour du chœur que nous venons d’observer encore une fois à Acerenza.


III

Lorsque, des remparts d’Acerenza, on regarde du côté du sud-ouest, on voit un peu en avant du sommet de l’échine de montagnes qui sépare de Potenza et de la vallée du Basiento, presque à la crête de ces montagnes, le bourg de Pietragalla, gros village encore plutôt que bourg malgré ses quatre mille habitans, car ceux-ci ne sont guère que des paysans. On croirait presque qu’on va le toucher de la main et on s’imagine qu’il suffira de bien peu de temps pour y arriver. Mais comme il faut descendre du pic d’Acerenza dans le fond de la vallée du Bradano, puis remonter jusqu’à la même hauteur par une interminable côte, on y met au moins deux heures et demie.

Rien de plus pauvre ni de plus sauvage que Pietragalla. Je n’ai pas pu y trouver à prendre une tasse de café autre que ce qu’on décorait du nom de caffé di paese, décoction amère de glands de chêne grillés. Jusqu’au XVe siècle, ce n’était qu’un hameau dépendant de Casalaspro, fief assez important du comté de Muro sous les Angevins, qui avait fini par être érigé en duché à l’époque où les Aragonais multiplièrent si incroyablement les titres de ducs et de princes dans le royaume de Naples. Il y a encore aujourd’hui un duc de Casalaspro, qui est en même temps baron de Pietragalla ; mais depuis longtemps Casalaspro n’existe plus. Un tremblement de terre l’ayant renversé en 1456, la plupart des habitans se retirèrent à Pietragalla ; un autre tremblement de terre, celui qui dévasta toutes les localités de la Basilicate le 8 septembre 1694, acheva de faire abandonner Casalaspro et renversa les quatre tours qui restaient debout du château. À l’endroit qu’occupait jadis cette seigneurie, dont le principal éclat fut au XIVe siècle, on ne rencontre plus que des décombres informes.

Le misérable bourg de Pietragalla ne mériterait pas une mention s’il n’avait pas eu, il y a vingt et un ans maintenant, sa page d’histoire. C’est là que se passa l’épisode le plus considérable de ce brigandage politique des premières années de l’établissement du régime de l’unité italienne dans le royaume napolitain, dont le souvenir est toujours si vivant dans le pays. Partout où je passe on me raconte