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peu près intactes jusqu’à nos jours dans les états de la Nouvelle-Angleterre et qu’elles ont servi de modèle à la constitution fédérale, comme aux constitutions particulières des états ultérieurement formés dans l’Union.

C’est que l’organisation religieuse du calvinisme n’était elle-même qu’une application de la souveraineté populaire. Pour les calvinistes, le prêtre n’est plus un être d’une vertu supérieure, investi d’une autorité surnaturelle par le fait de son ordination, mais simplement un délégué des fidèles, le premier d’entre ses égaux, c’est le suffrage universel, « le vote universel de la congrégation du Christ, » comme disait Milton, qui formule les bases de l’association, désigne les « officiers, » y compris le pasteur, fixe la contribution de chaque membre, approuve le budget et tranche sans appel toutes les questions pendantes. Bien plus, chez les puritains, comme aujourd’hui chez les « congrégationalistes, » — leurs descendans directs, — l’ensemble des fidèles constituait, non pas une église, mais une collection d’églises absolument indépendantes et autonomes. On conçoit combien cette organisation, qui peut encore être considérée aujourd’hui comme le type national par excellence de l’église américaine, devait, dès le début, favoriser l’établissement de la démocratie et préparer les voies à la république. Mais elle devait également conduire, par une extension graduelle, à l’égalité juridique des autres églises qui se réclamaient du même principe pour interpréter à leur guise les textes de la Bible, et, une fois cette brèche ouverte, la tolérance civile de toutes les opinions en matière religieuse n’était plus qu’une question de temps.

Sans doute, le vieux monde, sous ce rapport, a devancé le nouveau, puisqu’en 1838 nous trouvons encore un citoyen de Boston condamné à l’emprisonnement pour crime d’athéisme. Mais, tandis que chez nous la liberté des cultes s’est établie grâce aux adversaires de l’église, aux États-Unis elle est le produit naturel d’une évolution qui a son point de départ dans les origines religieuses de la nation. Le pasteur Roger Williams, lorsqu’il fondait, en 1(536, la colonie de Providence (aujourd’hui l’état de Rhode-Island), sur le principe d’une liberté absolue au profit de tous les cultes, — William Penn, insérant, en 1681, dans la charte de l’état qui porte son nom, la défense de mettre les frais d’un culte quelconque à la charge du trésor public, « pour empêcher qu’aucune secte ne puisse s’élever au-dessus des autres, » — les constituans du premier Congrès, qui interdirent d’imposer un serment religieux aux fonctionnaires fédéraux ainsi que a d’édicter des lois relatives à l’établissement ou à la prohibition d’une religion » — enfin les législateurs locaux, qui firent passer ces principes dans les constitutions particulières de leurs états, n’étaient en général rien moins que des