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faveur des miracles. Mais il faut se rappeler qu’au commencement de ce siècle tout était à créer dans l’exégèse biblique, et d’ailleurs les premiers unitaires du Nouveau-Monde, absorbés par leur lutte contre le calvinisme, avaient assez à faire d’extirper les superfétations parasites de la révélation primitive. C’est à l’heure où cette controverse commençait, à s’apaiser, par l’effet d’une lassitude réciproque, qu’arrivèrent simultanément d’Allemagne les premiers résultats d’une critique religieuse désormais émancipée du dogme et les théories idéalistes de l’école de Kant, alors dans tout l’éclat de sa popularité. Le mouvement d’idées que ce double levain suscita parmi les unitaires de la seconde génération ne tendait à rien moins qu’à fonder une religion nouvelle sous le couvert du christianisme. Nous voulons parler de la doctrine à laquelle les Américains donnèrent le nom de transcendentalism.


II

L’ancienne école sensualiste faisait de l’âme une table rase, un miroir qui se borne à réfléchir les impressions transmises par les sens. Kant combattit cette psychologie négative dans sa Critique de la raison pure, en montrant que l’esprit humain possédait une organisation propre, innée, indépendante de l’expérience et nécessaire à la formation même de la pensée. Cependant, de ce que la raison arrivait ainsi à saisir, sous forme de conceptions transcendantales, — c’est-à-dire dépassant la sphère de l’expérience, — les idées d’absolu, d’infini, d’idéal, il ne déduisait pas nécessairement l’existence réelle d’entités correspondantes. Fichte, son disciple, s’avança plus loin encore dans les voies de l’idéalisme subjectif, puisqu’il affirma notre impuissance à rien connaître avec certitude en dehors de notre esprit et de ses lois. Jacobi, au contraire, et surtout Schelling, conclurent du fait de nos conceptions intimes à la réalité objective, tant du monde spirituel que du monde sensible. Ensuite Schleiermacher, plaçant l’origine de la religion dans le sentiment de notre dépendance vis-à-vis de l’absolu, s’efforça de retremper aux sources de la révélation individuelle la foi dans les dogmes du christianisme, sans voir qu’il les sapait dans leur base par sa doctrine de la communication directe entre l’âme et Dieu. Après avoir conquis l’enseignement universitaire, renouvelé la théologie et illuminé la littérature allemande, l’idéalisme transcendantal passa en France, où Cousin l’enchâssa dans sa brillante mosaïque sous le nom de raison impersonnelle, ainsi qu’en Angleterre, où Coleridge s’en fi l’apôtre, Carlyle l’historien et Wordsworth le poète. Mais, si considérable qu’ait pu être son action sur le développement de la pensée