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contre l’esclavage. Oa rapporte qu’au moment d’expirer, il murmura : « Il y a deux Parker maintenant. L’un s’éteint en Italie ; l’autre a jeté de profondes racines en Amérique. Il vivra là-bas ; il y finira son œuvre. » La prédiction du mourant s’est réalisée, mais peut-être pas dans le sens qu’il y attachait. Parker vit plus que jamais aux États-Unis par l’ascendant qu’exerce sur les imaginations et sur les caractères l’exemple de son inflexible fidélité à ses convictions, de son amour passionné pour le vrai et le juste, de sa foi inébranlable dans la conciliation de la religion et du progrès. Mais, quant à sa doctrine favorite, — sans admettre, avec certains de ses biographes les plus récens, qu’il mettrait aujourd’hui la même ardeur à préconiser la supériorité de la méthode expérimentale, — on doit reconnaître que la philosophie de l’intuition n’a point répondu aux dernières espérances de son prophète.

L’émancipation des esclaves fut le grand triomphe du transcendantalisme, mais ce fut aussi le commencement de son déclin. Il devait une grande partie de sa popularité à la tiédeur que presque toutes les églises établies avaient mise à combattre le fléau de l’esclavage. Quand cette odieuse institution s’effondra dans les flammes de la guerre civile, il perdit sa principale action sur une partie de ses adhérens. D’autre part, l’individualisme, qui était au fond de ses aspirations, fut toujours un obstacle sérieux à l’essor de sa propagande et au groupement de ses forces. Son but essentiel, suivant une expression de Samuel Johnson, était d’amener chaque individu à devenir une église par lui-même, ce qui était condamner le principe même de toute organisation permanente sur le terrain religieux. La plupart de ses interprètes ne rompirent jamais complètement avec l’unitarisme qui avait servi de berceau à leurs doctrines, et, parmi les congrégations indépendantes que certains d’entre eux s’efforcèrent de constituer à l’imitation de Parker, on en trouve peu qui eurent une longue durée.

Enfin il représentait une réaction contre les exagérations de la méthode sensualiste, et, comme toutes les réactions, il dépassa le but. Non content d’affirmer l’importance de la psychologie, la nécessité de recourir à l’observation interne pour expliquer la formation de nos connaissances, l’aptitude de l’esprit à concevoir certaines notions qui ne peuvent être le produit exclusif de l’expérience sensible, l’existence d’une liberté morale et le caractère impératif du devoir, il avait prétendu trouver dans l’âme humaine une perception complète et infaillible de la vérité religieuse et morale. C’était prêter le flanc à un retour offensif du sensualisme, le jour où celui-ci, fort des prodigieuses découvertes réalisées par les sciences d’observation, prétendrait fournir la synthèse de l’univers. L’arme qui avait assuré la victoire à l’école de Kant sur