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Certes, si rien de tout cela n’annonce la fortune, rien non plus n’y diffère, autant qu’on le veut bien dire, de ce qu’il est encore de nos jours, et si ces traits ne conviennent pas à toutes les provinces et toutes les habitations rurales de l’ancienne France, il faut, comme tant d’historiens, n’avoir jamais mis le pied hors Paris, — dans la vraie campagne et dans une vraie chaumière, — pour s’imaginer qu’ils conviendraient à toute la France d’aujourd’hui.

Si le logement n’est pas la tanière que l’on nous peint d’ordinaire, l’alimentation, dans les années moyennes, n’est pas non plus tout à fait ce que les déclamateurs nous représentent. « Je ne sais comment il est arrivé, dit quelque part Voltaire, que, dans nos villages, où la terre est ingrate, les impôts lourds, la défense d’exporter le blé qu’on a semé intolérable, il n’y ait guère pourtant un colon qui n’ait un bon habit de drap et qui ne soit bien chaussé et bien nourri. » Voltaire en parle bien à son aise. Il voyait en beau ce jour-là ! Nous serons moins optimiste que l’auteur de Candide, Mais, pas plus qu’en un sens, il ne convient d’exagérer dans l’autre. Si le pain a manqué trop souvent, il y a quelque chose de puéril à nous montrer le paysan faisant son ordinaire de « paître l’herbe à la manière des bêtes. » D’abord il n’y aurait pas sans doute résisté longtemps ; et puis, comment donc trouverions-nous dans sa demeure tout ce que nous y trouvons de vaisselle ? On relève dans un inventaire de 1786, chez un simple manouvrier, a vingt-cinq assiettes, trois saladiers, une escuelle, une salière de faïence. » Un laboureur, en 1772, ne possède pas moins de « cinq douzaines de fourchettes de fer. » M. de Calonne ajoute bien que « les pièces d’argenterie sont plus communes chez le fermier qu’on ne saurait le croire, » mais il ne cite pas ses preuves.

Le pain, le laitage, la viande de porc, sont la base de l’alimentation. Le pain est d’orge, de seigle, d’avoine, « de farine de glands » dans les années de détresse. Pour le lard, il faut bien que la consommation en soit assez régulière, puisque Voltaire se plaint que les évêques, — dans le temps du carême ! — en veuillent imposer l’abstinence aux campagnards. On mange moins de bœuf et de mouton. Cependant « les statistiques de 1787, comparées avec les statistiques actuelles, permettent de dire que, dans le département de l’Aube, le nombre des bêtes à cornes n’a augmenté que d’un cinquième et celui des moutons que d’un onzième. » D’où il résulte, fait observer M. Babeau, que, l’approvisionnement de Paris en prélevant une moins grande quantité, les habitans en consomment à peu près autant qu’aujourd’hui. J’aimerais mieux qu’il eût cité les chiffres de Lavoisier, dans ses fragmens sur la Richesse territoriale de la France, d’où l’on déduit que la quantité moyenne de la consommation en viande était, par tête et par jour, de 112 grammes pour