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qu’il payait pour un service qu’on ne lui avait jamais rendues, si la liberté est de droit naturel, et que le servage, comme l’esclavage, soient des usurpations contre lesquelles la révolte est toujours permise. Nul n’a démontré avec plus de force que M. Taine, dans le premier volume de ses Origines de la France contemporaine, que ce qui a tué les privilégiés de l’ancienne France, ce ne sont pas leurs privilèges, ou même l’abus qu’ils en ont fait, mais bien la négligence imprudente ou coupable avec laquelle ils se sont déshabitués de rendre le service public et de remplir l’emploi qui justifiait leurs privilèges. Dans plusieurs provinces, comme la Vendée, comme l’Anjou, comme une partie de la Bretagne, où le gentilhomme campagnard était demeuré sinon « le protecteur qui nourrit, » — il était bien trop pauvre, — mais à tout le moins « l’ancien qui conduit, » ses privilèges n’ont pas empêché le villageois, au jour du danger, d’être avec son seigneur et de se battre sous son commandement., Par malheur, en plus d’une région de ces provinces mêmes, et dans la plus grande part de la France, le paysan, de tous ces privilèges, ne sentait plus que le poids, et d’autant plus intolérable que, s’il était homme, sous de certaines conditions, à en accepter l’exercice de bonne grâce, on ne pouvait pas lui demander d’en comprendre le sens, ni surtout d’en reconnaître l’origine, car d’abord elle se perdait, à trois ou quatre cents ans de distance, dans la nuit du moyen âge, eu ensuite, s’il avait sondé jusque-là, c’est alors qu’il en aurait reconnu toute l’illégitimité.

Je ne sais si ce qu’il y avait de plus vexatoire dans ces droits seigneuriaux n’était pas la façon dont ils étaient perçus, la manière dont le seigneur, tantôt sous un nom et tantôt sous un autre, — aujourd’hui sous prétexte d’assises et demain sous couleur de revêture, à la moisson pour son champart et à la vendange pour son carpot, — intervenait dans chaque opération de la vie agricole. Mais, certainement, en ce qui regarde l’état, le paysan de l’ancien régime, tout accablé qu’il fût d’impôts en sentait moins l’énormité que ce que le recouvrement, — celui de la taille, par exemple, ou encore celui des gabelles, — en avait d’inquisitorial, d’odieux et presque de féroce : « Il résulte plus de préjudices, dit le rédacteur de l’article Vingtième dans l’Encyclopédie, de la diversité des impôts et du désordre avec lequel s’en fait la levée que de leur charge même, quelque énorme qu’elle soit. » L’idée que l’on avait eue, de bonne heure, de confier aux taillables, choisis à l’élection, le soin de procéder à la répartition de l’impôt, avait fini par tourner contre l’intention même, évidemment bienveillante, qui l’avait autrefois dictée. Les collecteurs de la taille, comme ceux de la gabelle, étaient nommés part leurs concitoyens, et c’était presque là ce qu’il y avait de plus lourd : cette obligation aux uns de procéder dans leur propre