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temps, a distribué dans les provinces, dit un pamphlet célèbre, certaines gens auxquels on donne le nom d’intendans. On les voit tenir séance chez eux pour juger les procès de particuliers, recevoir les plaintes et les griefs du premier venu, et particulièrement du bas peuple et du paysan, et par ce moyen ils ont abaissé la noblesse. » Le pamphlétaire a raison. S’il n’y a pas précisément dessein formé, résolution délibérément prise, et projet arrêté, du moins est-il qu’au XVIIIe siècle il y a tendance du pouvoir central à se concilier la faveur du menu peuple, et notamment du peuple des campagnes. Apprenons à discerner le vrai sens et reconnaître la direction des choses. Par-dessous les apparences, et en dépit des actes, qui ne répondent pas toujours aux intentions, on serait parfois tenté de croire, en observant de près la politique administrative, qu’elle viserait à une espèce de socialisme d’état, comme nous dirions aujourd’hui. Mais, en tout cas, ce qui n’est pas douteux, et ce que l’on est en droit d’affirmer sans restriction, c’est qu’au XVIIIe siècle, si quelqu’un a profité du peu d’initiative qui demeurait encore au gouvernement, c’est le peuple des campagnes.

Il y aurait lieu de joindre ici tout ce que l’on pourrait dire du développement de l’instruction primaire dans les campagnes. C’est une question dont on s’est, depuis quelques années, passionnément occupé. M. Babeau, dans son Village sous l’ancien régime, y avait consacré tout un intéressant chapitre. Le lecteur se rappellera-t-il qu’en puisant, en même temps que dans ce chapitre, dans quelques-unes aussi des nombreuses monographies provinciales qui forment maintenant sur le sujet toute une petite bibliothèque, nous avions essayé jadis de fixer l’état de l’enquête ? Disons donc seulement que là aussi ce serait fermer les yeux à l’évidence que de ne pas reconnaître que l’ancien régime avait beaucoup fait, et qu’en cette matière, comme en tant d’autres, on a suivi l’impulsion, mais on ne l’a pas donnée. Le paysan d’autrefois pouvait s’instruire, et, s’il était « intelligent et laborieux, » devenir « instituteur, officier, notaire, etc., » dès ce temps-là comme aujourd’hui.

J’ai emprunté ces trois mots « instituteur, officier, notaire, » à l’un de ces nombreux Manuels dont l’école primaire est infestée. On voit l’heureuse perfidie de l’énumération. Il est vrai, le paysan de l’ancien régime ne pouvait pas devenir aisément « officier, » et, s’il le devenait, il demeurait, sauf exception, dans les bas grades. N’ayant pas la qualité, il lui était presque aussi difficile de se faire tuer sous l’uniforme de mestre de camp ou de lieutenant-général qu’il peut l’être aujourd’hui, à quiconque n’a pas trouvé dans son berceau le premier million, d’acquérir le second. La comparaison est d’autant plus naturelle, qu’au XVIIe et au XVIIIe siècle, c’était à la richesse bien plus encore qu’à la qualité qu’une compagnie se vendait. Mais,