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En fait d’histoire ancienne, ils leur racontaient Rollin et force légendes ; on attendait que leur esprit eût mûri pour leur apprendre à séparer le grain de la balle. Nous nous souvenons, pour notre part, d’avoir cru à Romulus, frère de Rémus, et à la louve qui les nourrit. Le jour que nous fîmes connaissance avec Niebuhr, ce fut un événement ; nous venions de découvrir l’Amérique. Désormais il en va tout autrement. On ne considère plus l’enfant comme une raison commencée dont il importe de ménager la faiblesse, ni l’éducation comme une affaire qui demande à n’être point brusquée ; on ne dit plus : « Il est bien matin pour eux ! » Un professeur distingué du lycée Fontanes a publié tout récemment un excellent manuel où il a résumé avec beaucoup d’art et de goût les principaux résultats obtenus par le déchiffrement des hiéroglyphes et des inscriptions cunéiformes[1]. On lit dans ce manuel, qui fera sûrement son chemin dans nos collèges, qu’Hérodote n’a raconté que des fables au sujet de l’Egypte, que les interprètes qui le promenaient dans les édifices publics n’étaient ni plus instruits ni moins téméraires que les cicérones de nos musées, qu’incapables de répondre à ses questions, ils lui répétaient les légendes populaires, « qu’Hérodote les recueillit fidèlement et composa avec ces fabliaux, non un abrégé d’histoire, mais un chapitre fort curieux d’histoire littéraire. » Sans contredit, un tel enseignement est le seul qui convienne aux nouvelles générations, le seul couvercle qui s’adapte au vase. Mais il faut avouer aussi qu’en initiant d’emblée nos écoliers aux plus récentes découvertes de la critique historique, nous leur donnons une haute idée de ce qu’ils valent, de ce qu’ils pèsent. Est-il possible de leur faire mieux comprendre pourquoi on les compte et à quel point on les prend au sérieux ? Si le jeune Anglais qui entre à Eton éprouve d’orgueilleux transports en contemplant son premier chapeau de soie et sa première théière, que doivent penser d’eux-mêmes des lycéens qu’on autorise à décroire avant d’avoir cru et qui ont la joie de se sentir plus malins qu’Hérodote ?

Pendant tout le temps qu’il passa à Eton, M. Gladstone lut Homère et fit des vers latins ; à peine lui montra-t-on les élémens de l’arithmétique, ce qui ne l’a pas empêché de devenir un incomparable ministre des finances. Nos collégiens sont mieux partagés que lui. Avec le mépris des légendes, on leur enseigne les rudimens de toutes les sciences, physique, chimie, cosmographie et le reste. On entend que, s’ils ne continuent pas leurs études, ils emportent du collège, à quelque âge qu’ils le quittent, le résumé de tout ce que doit savoir un homme qui se respecte. Ce n’est pas tout, on s’occupe de les préparer de loin

  1. Histoire ancienne des peuples de l’Orient, par M. Georges Franck, agrégé d’histoire, professeur au lycée Fontanes. Paris, 1883.