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les bienfaits qu’on s’en promet qu’à force de ménagement et d’équité. Bien au contraire, l’enseignement nouveau n’est qu’un moyen de guerre contre l’église, contre toutes les influences religieuses. On ne compte plus les évêques traduits devant le conseil d’état, et le nombre des desservans privés de leur modeste traitement s’accroît tous les jours. Les habiles ont même découvert que ce serait peut-être une manière ingénieuse « d’arriver par des mesures individuelles à la suppression presque totale du budget des cultes. » Et qu’on le remarque bien, il ne s’agit pas dans tout cela de défendre la loi elle-même contre des attaques plus ou moins vives, il s’agit de faire respecter de ridicules petits livres d’enseignement, les manuels de M. Paul Bert ou de M. Compayré : de telle façon que M. Paul Bert, qui veut supprimer le pape, devient pape lui-même ! Il est infaillible et il a vraiment à son service le bras séculier. Les évêques et les prêtres ne peuvent plus avoir une opinion sur son manuel sans s’exposer aux peines les plus rigoureuses, — et ils sont de plus jugés sans être entendus. Des instituteurs zélés d’un des départemens du centre de la France se sont même réunis dernièrement en concile, pour condamner à leur tour les condamnations épiscopales ou sacerdotales dont le manuel a été l’objet, pour préparer la besogne de M. le directeur des cultes.

C’est la manière nouvelle d’accréditer l’enseignement obligatoire et de traiter les affaires religieuses. Un jour M. Paul Bert l’infaillible, d’un ton goguenard, menace de ses foudres prochaines les évêques et les curés en les appelant « ces gaillards-là ! » Un autre jour, un député réformateur demande la suppression des dépenses du culte dans les budgets municipaux, et il obtient ce qu’il veut avec le concours de M. le ministre de l’intérieur lui-même. Récemment, M. le ministre de la guerre, pour faire sa partie dans cette campagne, pour atteindre les instituteurs congréganistes, a supprimé tout bonnement une exemption du service militaire instituée par une loi qui n’est nullement abrogée. On dirait que tout est permis dès qu’il ne s’agit que de la liberté et de la foi des consciences. Eh bien ! c’est sur ce point de direction morale que M. le président du conseil est obligé de se décider s’il le peut. Il faut bien qu’il se dise qu’on ne fait pas ce « gouvernement durable » qu’il ambitionne avec des passions de secte, avec ces vexations infligées aux croyances ; on ne fait un gouvernement sérieux que par la modération, par l’équité, avec l’appui des instincts conservateurs tranquillisés et des intérêts rassurés.

Telle est, en effet, la situation de la France que, si elle a été profondément altérée et affaiblie depuis quelques années par une fausse direction morale, elle n’est pas d’un autre côté moins compromise par une fausse direction économique et financière. Des d-nix côtés, tout est à redresser, et si l’on ne peut sans danger livrer indéfiniment la paix religieuse à de malfaisantes passions, il y a aussi à retrouver cette