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Le prince Albert, tel qu’il apparaît dans ces Lettres, dans ces Mémoires qui se publient aujourd’hui, a été réellement un des politiques les plus éclairés du temps, alliant un jugement prompt et ferme à une singulière droiture, suivant les événemens avec un esprit juste et libéral, habile à débrouiller tous les fils des affaires européennes. Dans toutes les circonstances de la vie extérieure et intérieure de l’Angleterre, ces deux représentans de la royauté, la reine Victoria et le prince Albert, sont les premiers gardiens des traditions nationales, de la tolérance religieuse. Voici cependant un problème que devraient bien étudier les républicains, les théoriciens des droits de l’homme, tous ceux qui se figurent que les libertés du peuple et les progrès sociaux sont impossibles avec la royauté constitutionnelle. La monarchie est la loi séculaire de l’Angleterre. Depuis près d’un demi-siècle, elle a été, elle est encore personnifiée dans une femme qui, pendant longtemps, a partagé son pouvoir avec ce prince dont la figure revit dans ces pages. Est-ce que par hasard l’institution monarchique a été un obstacle aux libertés populaires, à l’extension des intérêts nationaux, au progrès social et politique ? Jamais peut-être la nation britannique ne s’est déployée plus librement ; jamais il n’y a eu plus de réformes dans le vieil organisme anglais. Il n’y a que quelques jours, M. Bright, qui a été ministre et qui recevait le titre de bourgeois de Glasgow, rappelait toutes les luttes qu’il a soutenues pour les principes libéraux, pour le rappel de la loi des céréales, pour la réforme parlementaire, pour l’extension du droit de suffrage, pour la suppression de la taxe des églises, et il ajoutait avec orgueil que ces principes font aujourd’hui partie de la constitution britannique. Il disait que, depuis quarante ou cinquante ans, la législation du pays a fait d’immenses progrès, que la sympathie entre administrés et gouvernans est mieux établie aujourd’hui qu’il y a un demi-siècle, que tous ceux qui travaillera au bonheur de l’Angleterre doivent désirer la réalisation de réformes aussi importantes que celles qui ont signalé la période actuelle de l’histoire. L’Angleterre n’a cessé de marcher depuis cinquante ans, la monarchie n’a rien empêché. Ce qui est plus vrai, au contraire, c’est que si ce demi-siècle a été si prospère, si tant de réformes utiles, fécondes pour la nation ont pu s’accomplir sans secousses, sans crises violentes, cela tient à ce qu’au milieu de tout ce mouvement il y a un point fixe, solide autour duquel tout peut se développer avec une régularité puissante. La monarchie, telle qu’elle est entendue en Angleterre, est la garantie de tous les progrès ; elle représente la perpétuité de la nation à travers les crises incessantes de transformation, et on n’éprouve aucun embarras à la servir, à s’incliner devant elle. Les Anglais ne se sentent diminués ni dans leur dignité, ni dans leur liberté, parce qu’ils témoignent leur respect pour une institution qui fait leur force, qui se proie à toutes les réformes pourvu que ces réformes aient reçu la sanction éclatante