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toute intervention. Les Italiens partisans d’une politique plus active sont les dupes d’un mirage ; ils se rappellent toujours la participation de Cavour à la guerre de Crimée et les suites de cette campagne ; mais les circonstances ne sont plus les mêmes, et l’intervention en Égypte n’aurait peut-être pas tardé à entraîner l’Italie dans de singulières complications, sans lui assurer les avantages qu’on regrette aujourd’hui, qui ne sont d’ailleurs qu’une conjecture.

Un des points culminans de ces récens débats du parlement de Rome est évidemment ce qui touche aux rapports de l’Italie avec l’Autriche et l’Allemagne. Ici l’accord est bien plus réel, et il est clair que, dans les divers camps, il y a un égal désir d’être ou de paraître en intimité avec les deux grands empires. C’est, depuis quelques années, le rêve obstiné de la politique italienne ! M. Mancini n’a rien négligé pour constater l’existence de cette intimité. Il a même laissé entrevoir un fait qui ne serait pas sans quelque importance ; il a donné à comprendre, par quelques paroles mystérieuses, qu’il y aurait un traité. Soit ! on peut se demander seulement quelle est la signification de ce traité d’alliance « pacifique, inoffensive » qui serait une si précieuse garantie pour l’Italie. Contre qui l’Italie aurait-elle besoin de cette garantie ? Personne n’a songé et ne songe à l’attaquer. Si elle a cru cependant avoir à s’assurer un tel appui, elle a dû nécessairement l’acheter par des engagemens dont M. Mancini a gardé le secret : de sorte qu’elle s’est mise dans l’obligation de payer d’un prix inconnu une alliance bien inutile contre une agression dont personne n’a la pensée. Il faut voir les choses comme elles sont et prendre les mystères pour ce qu’ils valent. La vérité est que, dans ces débats, dans ces discours, dans ces divers exposés de la politique italienne qui se sont succédé, il y a un sous-entendu ; il y a un autre personnage pour lequel on n’a que de bonnes paroles, mais qu’on traite un peu trop visiblement en suspect, c’est la France. Si on regrette de n’être pas allé en Égypte avec l’Angleterre, c’est que cela ressemblerait un peu à une revanche contre la France. Si on attache un tel prix à l’alliance avec l’Allemagne et l’Autriche, c’est par précaution contre la France. C’est comprendre étrangement la politique de son pays. Que les Italiens aient été émus un instant de l’occupation de Tunis par la France, c’est possible ; mais c’est une affaire finie, ils le déclarent eux-mêmes en ajoutant qu’il n’y a plus à y revenir. Ministres et députés parlent en hommes désireux de maintenir l’intimité traditionnelle des deux pays. À quoi sert alors de mettre dans la politique cette contradiction qui consiste à vouloir vivre en bonne amitié avec la France en paraissant, d’un autre côté, prendre ses mesures contre elle ?


CH. DE MAZADE.