Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 56.djvu/728

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dans cette journée, le duc d’Anguien apprit en même temps que Louis XIII était mort[1] et que depuis la veille la tranchée était ouverte devant Rocroy. Écoutons-le ; il dira mieux que nous quelle impression il reçut de cette double nouvelle et quelle résolution elle lui inspira. « Je ne saurois peindre, écrit-il au premier ministre, le desplaisir que toute cette armée a de la mort du Roy. J’espère que les ennemis de cet estat ne se prévaudront pas de ce malheur ; mais je vous puis assurer que cette armée ira droit, et contre ceux du dehors et contre ceux du dedans, s’il y en a d’assez meschans pour l’estre. Je marche demain (17) à Rocroy que les ennemis assiègent depuis hier (15) et serai là après demain (18). Je vous asseure que nous n’azarderons rien mal à propos, mais que nous ferons tout ce que nous pourrons pour le secourir[2]. » Nulle hésitation, mais pas d’illusion, ni de forfanterie ; le jeune prince est résolu, mais il se possède et termine sa lettre en indiquant ce qu’on devra faire du côté de la Bourgogne et de Thionville « pour donner jalousie aux ennemis si nous sommes assez malheureux pour ne pas réussir. » Puis il expédie à Gassion un ordre net et concis dans lequel respire la fermeté de son âme, lui donnant rendez-vous pour le lendemain à Bossus-lès-Rumigny, où rejoindront également les derniers détachemens en arrière. « De là, tous ensemble, nous marcherons aux ennemis[3]. »

Marcher aux ennemis ! sa pensée est tout entière dans ces trois mots que répète chacune de ses lettres depuis son arrivée à Amiens.

Le 17 mai, les voitures et une partie de l’infanterie, quittant les environs de Vervins, prennent une route un peu longue, mais abritée contre toute tentative des partisans, masquée par La Haye-d’Aubenton, un de ces massifs boisés aux pentes raides qui portent le nom de Haye dans le nord-est de la France. A Brunhamel, cette colonne rallie les derniers contingens tirés de la Champagne. Le gros des troupes, conduites par le général en chef et prêtes à combattre, suit la route extérieure et remonte la riante vallée du Thon. Vers midi, toute l’armée est concentrée dans un espace de 6 kilomètres, à Aubenton, Bossus et Rumigny ; il n’y a pas à compter sur un homme ou un cheval de plus. Le duc d’Anguien est à Rumigny, où il a réuni son lieutenant-général L’Hôpital, les deux maréchaux de camp Espenan et La Ferté, le maréchal de bataille[4], les doyens » des mestres de camp, Sirot pour la cavalerie

  1. Le 14 mai, à 2.45 p. m.
  2. M. le Duc à Mazarin, Foigny, 16 mai.
  3. M. le Duc à Gassion, 16 mai, de Foigny.
  4. Ou plutôt le sergent de bataille qui remplissait ces fonctions par intérim. Le titulaire, La Vallière, était parti pour Paris le 12 mai et rejoignit son poste dans la nuit du 18 au 19.