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IX. — BATAILLE DE ROCROY, 19 MAI.

La cavalerie de l’aile droite a suivi le mouvement des enfans perdus ; son front est doublé ; tous les escadrons sont en première ligne. Gassion en conduit sept et prend à droite, Anguien à gauche, un peu en arrière avec huit ; le bouquet de bois les sépare et les masque quelque temps. Les cavaliers ennemis ont sauté en selle à la première alerte ; c’est la troupe de Gassion qui se montre d’abord. Albuquerque veut lui faire face ; au moment d’en venir aux mains il est tourné par le duc d’Anguien et pris de flanc en flagrant délit de manœuvre. Le choc fut dur ; les cornettes abordées ne s’en remirent pas et disparurent du champ de bataille suivies par nos Croates. Albuquerque, entraîné par les fuyards, arrivait à Philippeville[1] dès huit heures du matin. « Il a dû partir de bonne heure et aller vite, » ajoutait Fabert en donnant ce renseignement à Mazarin.

Les lieutenans du général de la cavalerie espagnole, Vivera et Villamer, prennent sa place et reforment leur seconde ligne derrière la gauche de leur infanterie ; les escadrons français sont ralliés ; un nouveau combat s’engage avec la même issue que le premier. Au milieu de la fumée et de la poussière, plusieurs cornettes ennemies passent sans rencontrer nos cavaliers et arrivent jusqu’à « Picardie, » qui, le bois nettoyé des mousquetaires, se trouvait isolé en avant de notre ligne de bataille. Le régiment enveloppé se forme en octogone[2] et montre une grande fermeté.

L’aile gauche de l’armée espagnole est dispersée. En moins d’une heure le duc d’Anguien s’est révélé ; il a conquis sur ses cavaliers cet ascendant qu’une sorte de courant rapide donne au chef digne de commander sur des soldats dignes de le suivre. Il peut maintenant arrêter sa troupe sans diminuer son courage, la faire manœuvrer au milieu de l’action, lui rendre l’élan sans qu’elle lui échappe ; il va avoir besoin de toute son autorité. Le succès de notre aile droite avait amené le général en chef sur une ondulation d’où, en se retournant, il dominait le terrain occupé par le reste de son armée. Le spectacle qui s’offrit à ses yeux était fait pour troubler une âme moins ferme.

Les coups de mousquet partis de notre droite avaient mis fin à

  1. 32 kilomètres de Rocroy.
  2. Disposition rationnelle, puisqu’elle ne donne pas d’angle mort, mais compliquée et bizarre, qu’une infanterie très exercée pouvait seule adopter.