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la « trêve de Dieu » maintenue toute la nuit par une sorte d’accord tacite ; les postes placés entre les deux armées avaient aussitôt commencé le feu ; les piquets étaient accourus ; deux lignes de tirailleurs avaient couvert tout le centre d’un nuage de fumée ; bientôt le canon mêle sa voix tonnante aux éclats de la mousqueterie. A notre gauche, les premières clartés du jour avaient montré à La Ferté l’aile droite des ennemis dégarnie ; en effet, Isembourg, avec presque toute la cavalerie d’Alsace, avait passé la nuit dans son camp à l’ouest de la place, à la tête des tranchées, pour mieux garder les avenues et repousser cette tentative de secours qui, jusqu’au dernier moment, resta le grand souci de l’état-major espagnol. Voyant ce vide devant lui, La Ferté oublia et l’échauffourée de la veille et les recommandations de son général ; de nouveau, il voulut franchir le marais et tourner l’étang. Comme la veille, Isembourg survint avec ses escadrons, mais cette fois il ne s’arrêta pas ; prenant le galop à bonne distance, favorisé par la pente, il tombe sur la cavalerie française, la met en désordre, la sépare de l’infanterie et la pousse vivement devant lui. La Ferté combat avec vaillance ; atteint d’un coup de pistolet, percé de deux coups d’épée, il reste aux mains de l’ennemi. L’ardeur de la poursuite, l’attrait du pillage, l’espoir d’arriver jusqu’aux bagages des Français entraîne au loin bon nombre de cavaliers allemands. Encore aujourd’hui on retrouve des armes brisées jusque dans les rièzes de Regniowez.

Avec le gros de sa troupe, Isembourg tourne à gauche, culbute nos mousquetaires, nos artilleurs et s’empare du canon ; La Barre est tué sur ses pièces. L’Hôpital, homme d’honneur, un peu responsable du malheur de La Ferté, essaie d’y remédier. Il rallie quelques cavaliers, se met à la tête des bataillons de notre gauche et reprend le canon perdu. Mais aux cornettes qu’Isembourg a gardées sous la main se réunissent celles qui, venant de l’autre aile, se sont un moment égarées et qui, après avoir tâté Picardie, ont coulé derrière les tirailleurs espagnols du centre. L’infanterie italienne les soutient. Les troupes de l’Hôpital sont entourées ; un coup de feu lui casse le bras ; ses cavaliers l’entraînent en arrière ; quelques bataillons fuient ; Piémont et Bambure font ferme ; ils sont très maltraités et obligés de reculer, abandonnant le canon une seconde fois.

L’ennemi a maintenant trente bouches à feu pour battre notre centre, qui n’avait pas encore été sérieusement engagé ; nous n’avons plus une pièce pour répondre. Nos mousquetaires, formés sur deux rangs en avant des bataillons, continuent leurs salves, mais ils perdent du terrain. L’anxiété est profonde ; la gauche est battue, chacun le voit ; la droite a disparu, le général en chef avec