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renonça à pousser jusqu’au champ de bataille, prit position, évita le contact des fuyards, les fît filer devant lui et se retira ensuite. Peut-être a-t-il bien fait ? Ce qui est certain, c’est qu’il ne perdit la confiance ni de son roi, ni du capitaine-général et qu’il conserva sa popularité parmi les troupes.

Des six vieux régimens qui composaient l’infanterie espagnole des Pays-Bas, un seul, Avila, était resté en Boulonnois sous les ordres de Fuensaldaña ; les cinq autres présens à Rocroy furent presque absolument détruits. Un des officiers chargés du dénombrement des prisonniers demandant à un capitaine grièvement blessé : « Combien étiez-vous dans votre régiment ? — Comptez les morts, » répondit le Castillan. Et ce n’était pas ce que Brantôme aurait appelé une « rodomontade d’Espagne. » — Comptons : deux mestres de camp, Velandia et Villalva étaient tués ; deux autres, Garcie et Castelvi, blessés et pris ; le duc d’Albuquerque exerçant le commandement de la cavalerie, son régiment était conduit par le sergent-major Perez de Peralta, qui fut blessé et pris ainsi que le sergent-major de Rocaful ; tous les capitaines furent tués ou pris ; sur les six mille soldats, bas officiers, alferes (sous-lieutenans) ou officiers réformés servant comme soldats, quinze cents environ échappèrent ; tous les autres (4,500) furent tués ou pris[1]. — Deux mestres de camp italiens, le chevalier Visconti et Giovanni delli Ponti étaient parmi les morts ainsi que le baron d’Ambèse, mestre de camp wallon, Virgilio Orsini, etc. Ritberghe, mestre de camp allemand, grièvement blessé, était prisonnier, ainsi que d’autres officiers de haut grade ou personnages de distinction : don Baltazar Mercader, lieutenant du mestre de camp général, don Diego de Strada, lieutenant-général de l’artillerie, le comte de Beaumont, frère du prince de Chimay, le comte de Rœux, de la maison de Crouy, le baron de Saventhem, fils du chancelier des Pays-Bas, le comte de Montecuccoli, don Francisco de la Cueva, don Manuel de Léon, etc.[2].

  1. Voici, autant qu’on peut rétablir, la liste des régimens qui composaient l’infanterie du roi catholique à Rocroy :
    Espagnols. — Albuquerque, Velandia, Villalva, Castelvi, Garcies.
    Italiens. — Strozzi, Delli Ponti, Visconti.
    Allemands. — Ritberghe, Merghem, Frangipani.
    Bourguignons. — Grammont, Saint Amour.
    Wallons. — Des Granges, prince de Ligne, d’Ambèse, Ribeancourt, Bassigny.
    Le 31 mai, Fabert envoya de Sedan à Mazarin l’état des « échappés de Rocroy » qui peut se décomposer ainsi :
    1,600 Espagnols, 1,700 Italiens, 1,200 d’autres nationalités, incorporés à Philippeville dans le corps de Beck ; 3,160 de diverses nations, dont 1,960 blessés, à Namur. Total 7,660.
  2. Ces prisonniers étaient un grand embarras ; jamais on n’en avait vu un tel nombre. Beaucoup étaient blessés ; il était difficile de les soigner. Deux chirurgiens-majors belges sont les seuls officiers de santé qui figurent sur le rôle conservé au dépôt de la guerre ; ce rôle est fort confus ; les noms y sont tous mutilés. — On dirigea les groupes d’abord sur les villes ouvertes de la Champagne, Reims, Rethel et d’autres, ainsi que sur les places fermées, où cela causait une grande incommodité, puis de là, le plus tôt qu’on put, dans l’Ouest, à Rouen, Caen, Alençon, le Mans, Amboise, Loches, Nantes, Niort, ou dans le centre, à Nevers, Moulins, Clermont. Leur subsistance était mise à la charge des villes, qui réclamaient des compensations toujours promises et rarement données. L’écoulement par échange ou rançon dura fort longtemps.