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statistiques, qu’il ne faut pas se contenter de lire, qu’il faut interpréter.

Dans le premier groupe, nous rangerons tous les phénomènes de la vie mentale, qui sont sensiblement subordonnés aux conditions de l’organisme, par exemple, les anomalies et les troubles divers de la perception externe, les instincts et spécialement ceux qui se rapportent à la vie physique, les habitudes et les passions, particulièrement celles qui se rapportent à la vie de sensation, enfin les nombreuses variétés de la psychologie morbide. Ici il semble bien que M. Ribot ait raison et que, pour cet ordre de phénomènes, l’hérédité soit manifeste, une hérédité plus ou moins combattue par l’éducation, par le développement de la raison, la culture esthétique ou scientifique, la réaction du caractère personnel, mais enfin dont il est vrai de dire que, sans devenir une fatalité inéluctable dans tous les cas, elle n’en joue pas moins un grand rôle, un rôle d’influence très sensible et parfois prédominante dans notre vie.

Parmi ces phénomènes qui sont d’un genre mixte et marquent le passage de la physiologie à la psychologie viennent se classer naturellement les formes diverses des maladies nerveuses qui affectent plus ou moins profondément l’intelligence. Il n’est pas contestable qu’ici l’hérédité morbide sévisse avec une grande force, bien qu’il soit parfois difficile de la suivre à travers ses métamorphoses. C’est une liste attristante que nous fournissent les annales médicales, parcourant les groupes variés des névroses, l’hypocondrie, l’hystérie, et aussi les divers modes de l’aliénation mentale, l’hallucination, la manie, la monomanie, la démence, la paralysie générale. Bien que les statistiques varient à l’infini sur la proportion des cas héréditaires, la réalité du fait semble hors de doute, et, comme le dit M. Ribot, tous les traités des maladies mentales ne sont qu’un plaidoyer, le plus convaincant, le plus irrésistible pour l’hérédité. La manie du suicide est un des genres d’aliénation où la transmission se marque en traits irrécusables. Esquirol, Moreau (de Tours), Lucas, Morel, sont unanimes sur ce point. Ils constatent non-seulement la régularité des cas similaires dans les descendans, mais l’uniformité dans la répétition, l’identité de l’âge pour la date de la mort volontaire et l’identité du procédé choisi. Un monomame se tue à trente ans ; son fils arrive à trente ans et fait deux tentatives de suicide. Ces tentatives manquent pour lui, mais pour d’autres elles réussissent. Le même genre de mort est de tradition dans une famille ; les uns se noient, les autres se pendent, les autres se jettent par les fenêtres ; on dirait qu’une obsession fatale arrive à point nommé dans ces existences vouées au suicide et que l’image du genre de mort paternelle attire les fils par une sorte de fascination.