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génial n’a été que la propriété d’un seul et ne s’est produit qu’une fois. Il est donc en dehors de l’hérédité, puisqu’il est unique. — Les mêmes réflexions, et avec plus de force encore, pourraient être faites à propos de Beethoven, pour lequel on ne peut alléguer que des exemples vraiment peu significatifs, ceux de son père et de son grand-père, maîtres de la chapelle de l’électeur de Cologne. Qu’est-ce que cela prouve pour l’hérédité du génie ? Nous pourrions puiser à pleines mains dans ces nomenclatures, qui abondent en cas négatifs. Citerons-nous, parmi les peintres, le plus grand de tous, Raphaël (dont le père avait quelque mérite, sans doute, mais ce n’est pas de mérite qu’il s’agit), ou Titien, dont les deux fils et le frère savaient manier habilement le pinceau ? Parmi les grands savans, quel rapport sérieux peut-il exister, dans l’ordre de l’invention et du génie, entre Aristote et son père Nicomaque, médecin d’Amintas II, dont nous ne savons presque rien ? Ou bien encore entre Galilée et son père Vicenzo, qui a écrit une théorie de la musique, entre Leibniz et son père, professeur de jurisprudence à Leipzig ? Il n’y a vraiment qu’un seul exemple qu’on puisse nous opposer, la famille des Bernouilli, célèbre par le nombre de mathématiciens, de physiciens, de naturalistes qu’elle a produits pendant plusieurs générations. Encore faut-il bien se rendre compte de ce fait qu’un seul, Jean, fut placé par des contemporains à côté de Newton et de Leibniz pour ses belles découvertes mathématiques. Les autres furent des hommes très distingués, ce qui est bien différent ; mais le génie reste à part.

Encore peut-on dire que, dans ces trois ordres de création, la peinture, la musique, les sciences mathématiques, il y a quelque chose d’héréditaire, non le génie assurément, mais une condition du génie, ou bien un certain apprentissage nécessaire, ou bien même une aptitude mixte, à la fois d’ordre physiologique et d’ordre intellectuel, qui sert à déterminer certaines vocations. C’est par là qu’on peut comprendre cette singularité de rencontres nombreuses de musiciens, ou de peintres ou de savans dans la même famille. Chez les peintres, par exemple, il y a quelque chose dont l’inspiration même ne peut se passer, c’est un certain nombre de données premières, de procédés techniques pour le dessin ou la couleur qui se transmettent plus aisément par l’exemple et par l’imitation dans l’atelier du père et qui se distribuent comme un patrimoine commun entre les enfans. Un seul de ceux-là s’élèvera au premier rang ; mais cette initiation du métier lui aura été indispensable comme économie de temps et de travail et aussi comme facilité pour laisser l’inspiration plus libre. Macaulay a dit avec raison qu’Homère, réduit au langage d’une tribu sauvage, n’aurait pu se manifester à nous, et que Phidias n’aurait pas fait sa Minerve avec un tronc d’arbre et