Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 56.djvu/786

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fixe à huit ou dix générations le temps nécessaire pour éliminer les chances de retour. Or dix générations, c’est-à-dire pour l’homme trois siècles, représentent deux mille quarante-huit générateurs dont l’influence plus ou moins marquée est possible. Il y a donc des exceptions qui dérivent de l’hérédité même. Il en est d’autres qui ne dérivent pas de l’hérédité, mais qui la modifient d’une manière normale, de telle sorte que les perturbations qu’elles produisent ne sont, elles aussi, des irrégularités qu’en apparence. Des causes très importantes agissent depuis le moment de la conception jusqu’à la naissance. On ne peut guère douter que certaines dispositions de l’enfant dépendent de l’état actuel et momentané des parens à l’instant de la procréation. L’influence de l’ivresse, par exemple, a été souvent constatée. Des observations nombreuses ont montré que l’enfant engendré dans un accès de délire toxique, même transitoire, peut être épileptique, aliéné, obtus, idiot. — Il y a une influence du moment qui peut imprimer à l’enfant futur la trace d’états plus transitoires encore, comme les passions et les affections morales. « Un des enfans adultérins de Louis XIV, conçu dans une crise de larmes et de remords de Mme de Montespan, que les cérémonies du jubilé avaient provoquée, garda toute sa vie un caractère qui le fit nommer des courtisans l’enfant du jubilé. » Il faut tenir compte aussi du développement du germe dans le sein de la mère. L’Histoire des anomalies d’Isidore Geoffroy Saint-Hilaire est pleine de faits curieux qui prouvent que les déviations du type peuvent être amenées par les causes les plus légères dans une des périodes de la vie embryonnaire. — Enfin reste la part à faire à ces lois si délicates, d’une observation si difficile, qu’on appelle loi de balancement organique, ou de compensation de développement, ou d’adaptation corrélative, qui s’applique même en psychologie et qui consiste en ce qu’une faculté mentale (comme dans l’ordre physiologique un système d’organes) se développe aux dépens des autres. « Très souvent, paraît-il, à un père très intelligent, ayant mené une vie trop laborieuse, succède un fils de facultés débiles, de forces mentales en quelque sorte épuisées, de même que des enfans très peu sensuels naissent parfois de parens très débauchés ; il semblait que les parens. eussent transmis non l’ardeur sensuelle elle-même, mais l’atonie qui succède aux excès prolongés. Il se fait ainsi toute sorte de compensations. Un père ayant beaucoup de santé et d’intelligence donne-t-il naissance à un fils plus intelligent que lui, il y a tout à parier que la santé du fils ne sera pas aussi forte que celle du père[1]. » De toutes ces causes, combinées entre elles,

  1. Ribot, l’Hérédité, p. 238, 261, etc.