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parfaitement exact : pain 2 sous, vin 6 sous, soupe et portion de bœuf 9 sous, légumes 5 sous, fromage 3 sous : total 25 sous. Ajoutez à ce repas celui qu’il a fait le matin avant de partir : 5 sous, celui qu’il fera le soir en famille : 15 sous par tête, en voilà pour 45 sous. Assurément je ne prétends pas que ce soit là un minimum et qu’on ne puisse vivre à moins, mais, étant données les habitudes de nos ouvriers, ce n’est pas non plus un ordinaire excessif. On peut considérer comme vivant simplement celui qui, pour sa nourriture, ne dépense pas plus de 30 sous par jour. En résumé, et sans prétendre donner à ces chiffres un caractère de précision qu’ils ne sauraient avoir, on doit, je crois, fixer à une somme variant de 550 à 750 francs la dépense annuelle afférente à la nourriture. On peut sans doute dépenser moins, mais on peut aussi dépenser un peu plus sans être pour cela un viveur et un débauché.

La troisième dépense inévitable est celle des vêtemens. C’est peut-être le seul article de première nécessité sur lequel une baisse de prix assez sensible ait eu lieu depuis quelques années. Cette baisse de prix tient moins à l’abaissement du prix de la matière première qu’au perfectionnement des procédés de fabrication, et aussi à l’existence de ces grands magasins qui, par la diminution des frais généraux et l’extension de leur clientèle, en arrivent à pouvoir mettre des objets en vente à un bon marché vraiment fabuleux. Il n’en faudrait pas pour cela conclure que l’ouvrier, et surtout l’ouvrière de Paris, dépensent moins pour leur entretien qu’ils ne dépensaient il y a dix ans. Cette dépense peut varier pour eux de 100 à 150 fr. Mais pour cette somme ils sont mieux mis, et il est impossible de ne pas être frappé de l’aspect généralement propre et décent que présente la population parisienne, même dans les quartiers populeux. Cela est visible surtout les dimanches et les jours de fête. Ces jours-là, la blouse qui demeure le vêtement de travail de certaines professions, maçons, peintres, charretiers, disparaît presque complètement, et il n’y a guère d’ouvriers qui ne prennent tournure de demi-bourgeois. Les ouvrières surtout, même les plus pauvres, trouvent moyen avec un rien, avec un ruban, avec un fichu, de se donner un air propret et presque élégant. Les moralistes rigoureux diront que cela est très fâcheux. Je veux bien le dire aussi, mais je n’en suis pas très convaincu. Je ne saurais en vouloir beaucoup à de pauvres gens, à de pauvres femmes, quotidiennement froissés par les rudesses de la vie, s’ils cherchent, un certain nombre de jours par an, à ne pas se reconnaître eux-mêmes en dissimulant leur condition aux autres. Je me demande même si un peu de recherche extérieure n’est pas la condition indispensable d’une certaine dignité intérieure. Il existe à ce point de