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vue une grande différence entre les pauvres de Paris et les pauvres de Londres, et je ne crois pas qu’il faille s’en affliger.

La même observation pourrait être faite à propos des dépenses diverses. Quelques-unes de ces dépenses sont indispensables, comme celles relatives au blanchissage (environ 30 fr.), à l’éclairage (30 fr. également), au chauffage (20 fr.), qui n’ont pas sensiblement augmenté, celles relatives à l’éclairage ayant même un peu baissé par l’emploi des huiles minérales. Les autres sont simplement utiles : ainsi serait, par exemple, la contribution annuelle à une société de secours mutuels. D’autres enfin sont superflues : tabac, rafraîchissemens, omnibus, menus plaisirs, cadeaux aux enfans, en un mot ce que, dans la langue populaire, on appelle le coulage, et c’est ici que le moraliste trouverait encore à redire. Mais combien n’y a-t-il pas plus d’humanité et de connaissance des hommes dans ce mot de M. Jules Simon : « Celui qui ne sait pas faire la part du coulage, celui-là est indigne de dresser le budget d’une petite bourse ! » En effet, il serait plus sage à l’ouvrier de s’interdire toute dépense superflue et de mettre à la caisse d’épargne tout ce qu’il pourrait économiser ainsi ; mais je me permettrai à ce propos une observation impertinente : c’est que les moralistes qui lui donnent ce conseil le feraient avec bien plus d’autorité s’ils transformaient eux-mêmes leurs dépenses superflues en dépenses de charité.

En résumé et sans prétendre apporter dans ces évaluations une fixité qu’il est facile de leur donner en apparence, mais qui est toujours un peu trompeuse, on peut dire qu’à Paris le coût de la vie a haussé moins qu’on ne le croit, depuis dix ans, et que cette hausse, sensible sur les loyers, est moins sensible sur les denrées nécessaires à l’alimentation, nulle sur les vêtemens, assez faible sur les autres natures de dépenses. Loin que le coût de la vie ait doublé, comme on le répète parfois, il n’a guère augmenté de plus d’un quart ou même d’un cinquième. Si nous reprenons maintenant les chiffres auxquels nous sommes arrivés, nous voyons, en tenant compte des différences de sexe, d’âge, de tempérament, que la somme annuelle nécessaire pour vivre à l’abri du besoin peut varier de 850 à 1,200 francs, cette somme se décomposant ainsi :


Logement de 100 à 150 fr.
Nourriture de 550 à 750 »
Vêtement de 100 à 150 »
Dépenses diverses (Chauffage, éclairage, blanchissage, menus plaisirs) de 100 à 150 »
de 850 à 1,200 fr.

Sans doute, on peut vivre pour moins de 850 francs, et nous verrons tout à l’heure qu’il faut bien qu’il en soit ainsi. Mais, d’un autre