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à Paris, parce qu’il est un des plus faciles à apprendre. C’est la profession de celles qui n’en ont point d’autres ; aussi est-elle une des moins rétribuées. Autrefois, les pensionnats religieux, ouvroirs, orphelinats formaient presque exclusivement des lingères. Depuis quelques années, de grands progrès ont été faits dans la direction industrielle de ces établissemens, où l’on enseigne aujourd’hui aux jeunes filles les professions les plus variées. Mais on y forme encore trop de lingères, et faute de savoir débattre avec assez de ténacité le prix des commandes que leur font les maisons de confection, ces établissemens contribuent à la baisse de la main-d’œuvre. On fait aussi de la lingerie dans les couvens, dans les prisons, dans certains modestes intérieurs où, pour suppléer à l’insuffisance du revenu annuel, la femme se livre à de petits travaux qu’elle vend ensuite en cachette et à bas prix. Toute cette concurrence, parfaitement légitime en son principe, contribue encore à avilir le métier. Une très bonne lingère, très habile, employée par une de ces grandes maisons qui paient cher, tenant à avoir de l’ouvrage très bien fait, peut gagner de 3 à 4 francs, mais c’est là un salaire exceptionnel. La lingère en linge ordinaire et chemises gagne de 2 fr. à 2 fr. 50. C’est aussi le salaire des brodeuses sur linge (je ne parle pas des brodeuses en broderies chiffrées et armoriées, qui gagnent de 4 à 5 francs). La lingère qui travaille pour les maisons d’exportation ne gagne plus que 1 fr. 75 : c’est bien peu, assurément, et cependant ce n’est pas là un salaire minimum dans l’industrie de la lingerie. On vend aujourd’hui dans les grands établissemens de confection comme le Louvre, le Bon Marché, la Belle Jardinière et ailleurs des peignoirs, des camisoles et d’autres ajustemens en linge que les petites bourgeoises se réjouissent de payer au prix de 2 fr. 75 ou 2 fr. 50 et qui leur permettent de se donner le luxe de déshabillés élégans. Ces ajustemens sont donnés à forfait à une entrepreneuse à laquelle on paie 60 centimes de façon par pièce. Celle-ci en fait une partie elle-même et distribue le reste à des ouvrières auxquelles elle ne donne que 50 centimes. En travaillant d’arrache-pied depuis le matin jusqu’au soir, une ouvrière ordinaire peut en faire deux et demi, soit un salaire quotidien de 1 fr. 25 (je garantis absolument tous ces chiffres). Est-ce là du moins un salaire régulier ? Non ; il faut encore déduire deux mois de morte saison, ce qui, pour toute l’année, ramène à 0 fr. 80 ou 0 fr. 90 la moyenne du salaire quotidien de certaines ouvrières. Lorsqu’on est descendu si bas comme salaire, il semble qu’on ne puisse trouver plus bas encore ? Eh bien ! si. Il y a encore la couseuse de sacs, c’est-à-dire le plus souvent une ancienne lingère dont les yeux sont affaiblis par l’âge ou brûlés par le travail à