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époque toutes ces petites résidences princières, alors si nombreuses en Allemagne. On n’y était pas entièrement dénué de ressources artistiques, et plus d’une fois Frédéric put lui emprunter des musiciens ou des chanteurs pour son opéra, des dessinateurs ou d’habiles ouvriers.

De la solitude de Ruppin, où, — après avoir, à des conditions humiliantes, fait sa soumission, — il a été confiné par ordre du roi, Frédéric mande à sa sœur ses occupations, les passe-temps par lesquels il s’efforce de tromper son ennui. « Je lis et écris comme un forçat, et je musique pour quatre. J’ai avancé dans la composition jusqu’à faire une symphonie… Je me mets aussi dans le jardinage et j’ai commencé à me faire un jardin. » Comme dans tout jardin de ce temps, il y a un temple et, sous la coupole, la statue d’Apollon, le dieu de la poésie. Les voyages périodiques de Quantz, qui a obtenu la permission de reprendre ses leçons et qui vient deux fois par an, sont l’occasion d’échanges entre Baireuth et Ruppin. La margrave, de son côté, envoie une copie de Van Dyck à Frédéric, et celui-ci, en prévenant sa sœur qu’elle trouvera Quantz « d’un orgueil plus insupportable qu’il fut jamais, » lui annonce qu’il l’a chargé pour elle d’un concerto de sa composition, mais « dont il n’est point satisfait. » Il semble que l’entrain et la fécondité lui font défaut, car plus tard encore il s’excuse de ne pouvoir s’acquitter d’une nouvelle promesse à cause de « la sécheresse de son imagination… J’ai eu beau faire tous mes efforts, je n’ai pu encore trouver une harmonie digne de vous être offerte. » Quand enfin il peut effectuer cet envoi plusieurs fois différé, il y joint un solo qu’il a spécialement composé pour le margrave, lequel, paraît-il, jouait aussi un peu de la flûte.

Avec son mariage, une vie nouvelle va commencer pour Frédéric. Il a dû, sur ce point encore, se soumettre à son père, et sans qu’on ait consulté ses goûts, il lui a fallu épouser la fille du duc de Brunswick. Mais il ne pardonnera jamais à sa femme cette contrainte, et, sans avoir rien à lui reprocher, il manifeste pour elle un éloignement marqué. « Notre mariage ne vaudra pas grand’chose… Le roi veut me forcer à aimer ma belle, écrit-il à sa sœur ; je crains fort qu’il n’y réussira pas. » Et, en effet, au sortir même de la cérémonie de son mariage (12 juin 1733), dans un autre billet adressé à la margrave, il ne laisse aucun doute sur son intention de vivre séparé de son épouse. Mais Frédéric a, dès lors, conquis son indépendance. On lui constitue une dotation ; il a un palais à Berlin, et le château de Rheinsberg lui est donné en apanage. Au bout d’un an, la princesse sa femme, étant allée, de son côté, à Schœnhausen, il devient entièrement libre de mener la vie qui lui plaît. Ce domaine de Rheinsberg, — Rémusberg, comme