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sans des sommes considérables. » Il y a, du reste, une disette absolue de danseuses à l’Opéra, où, a excepté la Camargo, qui a quarante-trois ans, il n’y a que des danseuses de troisième ordre. » Toujours est-il que l’opéra doit être pour Frédéric une dépense assez coûteuse, le nombre des représentations étant très restreint et celui des places payantes fort limité, puisqu’on est prié par invitation et que le parterre est réservé aux soldats, qui s’y rendent par escouades. L’aspect de ce parterre devait même être assez étrange, car si chaque grenadier n’avait droit qu’à une place, il était cependant permis à ceux qui étaient mariés d’amener leurs femmes, à condition de les tenir perchées sur leurs épaules pendant la représentation.

En supportant les frais assez élevés que lui occasionne l’entretien de son théâtre, le roi n’a pas uniquement en vue une satisfaction d’amour-propre. Jeune, il a toujours eu cette passion du théâtre, et s’il ne joue plus lui-même la comédie, c’est un genre de divertissement qui ne cesse pas d’être fort en vogue à sa cour et auquel ses frères, la princesse Amélie, et les personnes de son entourage, continuent à se livrer. Frédéric assiste non-seulement aux représentations, mais « aux épreuves ; » il surveille tout, « les décorations et les habillemens. » Il ne se contente pas de recruter le personnel. il va même, comme d’Argens, jusqu’à instruire ses chanteurs et prétend leur donner des leçons. Il écrit à sa sœur (de Potsdam, 25 février 1743) : « J’ai ici musique le soir et j’ai un chanteur qui deviendra un des premiers virtuoses de l’Europe. Il s’appelle Porporino. Sa voix est un soprano. Je lui apprends encore l’adagio. » Le vainqueur de la Silésie faisant répéter des adagios à un chanteur italien, certes le rapprochement est imprévu. Afin d’encourager son élève, le royal compositeur écrit exprès pour lui deux airs qui sont intercalés dans la Cleofide de Hasse et dont la Bibliothèque de Berlin possède les manuscrits. La margrave est mise au courant de tout ce personnel théâtral, du fort et du faible de chacun, de l’ordre des représentations, des opéras qui figurent sur les programmes et dont généralement Graun est l’auteur. On joue successivement Rodelinde, Scipion, Artaxerxès, et surtout Cajo Fabrizio, qui, avec le César de Keyser, obtient le succès le plus marqué. Grâce aux soins et à la surveillance du roi, la troupe est peu à peu devenue excellente ; dans la comédie « l’arlequin est aussi bon qu’on en puisse avoir. » Frédéric est également ravi du maître de ballets ainsi que de sa sœur, et il vante le talent tout à fait surprenant de l’Astrua, « qui fait des arpeggios comme les violons… et chante tout ce que la flûte joue, avec une agilité et une vitesse infinie. » Enfin, il attend la Barberina pour compléter sa troupe d’opéra. L’engagement de cette Barberina ne fut cependant pas chose facile, et il fallut