Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 56.djvu/909

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et se faire un plaisir de son devoir. » (2 février 1742.) Le soin de son armée, de ses finances, l’administration de son royaume, les tortueuses combinaisons de sa politique extérieure, voilà sa vraie tâche, et il ne l’oublie jamais. A côté des recommandations relatives à ses achats d’objets d’art, au recrutement de ses acteurs, il écrit à Rothembourg (27 août 1743) : « Je règle mes finances, très persuadé que l’on n’est grand au dehors qu’à proportion que l’on est puissant et bien arrangé dans son intérieur ; » et dans une autre lettre, rendant compte à son fidèle Jordan de l’emploi de sa journée qui commence : « Adieu, lui dit-il, je vais écrire au roi de France, composer un solo, faire des vers à Voltaire, changer les règlement de l’armée, et faire encore cent autres choses de cette espèce. »

Si Frédéric sait ainsi employer tous ses instans, il ne gaspille pas non plus son argent. Dans sa jeunesse, il a pu se laisser parfois entraîner, par amour-propre, à des dépenses d’une utilité contestable ; mais il s’est bientôt arrêté sur cette pente, et ces dépenses d’ailleurs n’ont jamais été désordonnées. On ne peut que l’approuver quand, à propos des exigences de deux danseuses, il écrit à Rothembourg de ne point cédera leurs prétentions, car « les gages des personnes utiles à l’état doivent être infiniment supérieurs aux pensions de ceux qui ne le servent que par des gambades. » Mais ce n’est pas seulement sur le budget de son théâtre qu’il s’observe. Il n’imitera jamais « son gros voisin de Saxe » qui se ruine en frais de toute sorte pour le mariage de ses enfans et qui a engagerait la Saxe chez un juif pour faire une belle dépense. » Souvent il revient sur ce sujet, comme si cette prodigalité du gros voisin était pour lui un reproche indirect. En refusant l’achat d’une œuvre de Raphaël qui lui était proposé, il semble avoir à cœur de se défendre lui-même : « Libre au roi de Pologne de payer 30,000 ducats pour un tableau de Raphaël et d’établir en Saxe une contribution de 100,000 thalers. Telle n’est pas ma méthode. Ce que je puis avoir à un prix raisonnable, je l’achète ; mais ce qui est trop cher, je le laisse. Je ne puis faire de l’argent, et quant à accabler mes sujets d’impôts, ce n’est pas mon affaire. »

Mais s’il renonce à des achats qu’il trouve trop coûteux, le roi de Prusse voudrait cependant pouvoir provoquer et développer chez son peuple le goût des arts. Aussi s’efforce-t-il toujours d’attirer à sa cour tous ceux qu’il croit capables de l’aider dans ses desseins ; mais il n’arrive guère à s’attacher que des hommes d’un mérite tout à fait secondaire. Après la mort de Pesne (1757), la direction de l’Académie est confiée à Lesueur, un autre peintre français des plus médiocres, dessinateur assez habile cependant, qui s’emploie de son mieux à perfectionner les méthodes d’enseignement, et qui, pour