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à ce morceau, que le professeur Thiébaut fut chargé de lire dans une séance de l’académie, spécialement convoquée à cet effet, et cet Éloge du prince Henri semble l’exercice d’un très pauvre écolier. Les mêmes formes, les mêmes procédés oratoires y reviennent à satiété, mêlés à des emprunts presque textuels de passages bien connus de deux des plus célèbres oraisons funèbres de Bossuet : « Souvenez-vous, messieurs, de ce jour sinistre où la renommée, qui divulgue tout, répondit subitement ces tristes paroles : Le prince Henri est mort ! » Puis, après de longs commentaires sur ce que disent les jeunes gens, sur ce que pensent les vieillards, arrivent l’évocation de toutes les morts prématurées, Marcellus, Germanicus, etc., et des traits comme ceux-ci : « Ô pompe fatale ! ta marche fut arrêtée par des torrens de larmes ! » Suit une description de la tristesse publique, accompagnée de nouvelles apostrophes : « Jour désastreux qui nous priva de ce doux espoir ! Cruelle maladie qui… Sort impitoyable qui… Mais que dis-je ? où est-ce que ma douleur m’égare ? » Le tout se termine par un retour attendri sur lui-même, à la façon du passage de l’oraison funèbre de Condé : « Moi, que l’âge et les infirmités avertissent journellement que j’approche du terme qui bornera la course de ma vie ! » On ne croirait jamais que c’est le même écrivain qui, d’un style sobre, nerveux et substantiel, a rédigé les Mémoires de la maison de Brandebourg et l’Histoire de mon temps, et il y a là assurément plus de lecture et de prétentions littéraires que de véritable émotion.

Ces affectations d’une sensibilité prolixe étaient, nous le savons, dans le goût de l’époque ; elles détonnent chez un homme qui fait profession de naturel. Encore est-on heureux avec lui quand de tels épanchemens ne masquent pas la duplicité tout à fait choquante, dont il donne un triste exemple alors que, cherchant à attirer d’Alembert à Berlin, il l’accable de prévenances et de complimens au même moment qu’il fait sur lui des vers très mordans ; ou bien encore quand, après avoir écrit à Darget, son secrétaire, une lettre fort touchante à propos de la mort de sa femme, il rime contre elle, le jour même, une assez méchante épigramme. Au fond, la sécheresse du personnage est extrême et l’amitié n’est guère son fait. Ses affections sont peu désintéressées, et il met un certain cynisme à ne s’entourer que de gens qu’il tient dans sa main et vis-à-vis desquels il ne se sent obligé à aucun ménagement. Quoi d’étonnant si, composé de la sorte, ce cercle au milieu duquel il vit est travaillé par les passions les plus misérables ; si l’envie, la méchanceté, l’amour-propre amènent à chaque instant parmi les hôtes du roi des brouilles, des haines et des déchiremens dans lesquels chacun accommode le voisin de la belle manière ? Pour conserver avec Frédéric le commerce d’amitié qui avait marqué le début de