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n’ont pas laissé d’être acerbes. On a cependant fini par s’entendre. Une partie des dispositions nouvelles du ministre de la guerre a été maintenue : il n’y aura plus de reconnaissance de la frontière, plus de grande opération d’ensemble. M. le général de Galliffet, d’un autre côté, garde la direction supérieure des manœuvres de quelques divisions de cavalerie. C’est ce qu’on appelle une transaction. M. le ministre de la guerre et ses amis se flattent sûrement d’avoir gardé l’avantage ; M. le président du conseil croit sans doute être resté maître du champ de bataille. En réalité, le dernier mot reste au désordre, à l’équivoque.

Ce qu’il y a de plus curieux dans cette affaire, c’est que M. le général Thibaudin, profitant de l’occasion, a émis une prétention singulière. Il a revendiqué pour le ministre de la guerre le droit de décider seul des questions militaires, une sorte de privilège d’indépendance dans le gouvernement. Et voilà pourtant ce que devient une idée juste, assez séduisante, dénaturée par les passions et les calculs intéressés. Il y a eu un temps, en effet, où l’on aurait voulu isoler pour ainsi dire le ministre de la guerre, le placer en dehors des oscillations de cabinet, pour le laisser tout entier aux intérêts, militaires, pour préserver l’armée de l’invasion de la politique. Des serviteurs aussi modestes qu’intelligens et désintéressés, comme M. le général Berthaut, M. le général Borel et d’autres s’inspiraient fidèlement de cette pensée ; ils mettaient tous leurs soins à écarter de l’armée les influences malfaisantes de la politique. L’idée n’a cependant jamais pu être réalisée complètement, et ce qui n’a pas été possible avec des hommes comme M. le général Borel, M. le général Berthaut, on voudrait le reprendre le jour où apparaît au ministère de la guerre un officier escorté de toutes les passions radicales. C’est-à-dire que cette indépendance ministérielle, conçue ou rêvée pour bannir la politique de l’armée, deviendrait tout à coup un moyen redoutable pour introduire dans l’armée la plus dissolvante politique de parti, pour faire du radicalisme l’arbitre de l’organisation militaire, des épurations, des choix de personnel ! Le chef du cabinet a montré sa faiblesse le jour où il a été obligé de compter avec ces idées, ces passions dont M. le ministre de la guerre se fait comme un bouclier contre le gouvernement lui-même.

C’est le malheur de M. le président du conseil ; il s’agite dans une perpétuelle équivoque sans se sentir peut-être la force ou sans avoir la volonté d’en sortir. Il est enchaîné dans son action par des idées fausses dont il est lui-même la dupe ou par des influences qu’il se croit obligé de ménager sans cesse pour avoir une majorité, pour rallier des partis, des groupes auxquels il ne donnera jamais assez pour les satisfaire et les retenir. Il prononce sans doute parfois, il a prononcé encore l’autre jour, devant le congrès des sociétés savantes, et devant un congrès pédagogique, des discours qui ne manquent ni d’ampleur ni