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inutilement son concours, et elle avait à essuyer à Berlin, même à Rome, les déboires que ne lui épargnait pas l’humeur hautaine de M. de Bismarck. Elle avait à guérir son amour-propre de la blessure que l’empereur François-Joseph lui avait faite en refusant d’aller rendre visite au roi Humbert à Rome. Elle ne s’est pas découragée ; elle a voulu à tout prix se mettre en bonne compagnie : voilà qui est fait, à ce qu’il semble ! Il resterait à savoir ce qu’elle gagne ou ce qu’elle perd, ce qu’elle met de sa liberté ou ce qu’elle espère conquérir d’autorité dans ces combinaisons plus flatteuses pour son amour-propre que fructueuses pour sa politique. Il est évident qu’elle n’entre pas sans conditions dans cette intimité si enviée, qu’elle a dû prendre avec l’Autriche, avec l’Allemagne elle-même des engagemens dont on a vainement jusqu’ici demandé le secret à M. Mancini. Elle a dû nécessairement aliéner plus ou moins l’indépendance de sa politique, et quelle compensation peut-elle trouver dans ces arrangemens où elle n’est admise, on ne peut se le dissimuler, que par une sorte de faveur ? Il n’y a pour elle qu’un avantage possible, saisissable, avoué, c’est d’être mise en sûreté contre un danger imaginaire, contre la France, qui ne la menace pas, qui n’a jamais songé à la menacer, qui n’a sûrement pas la pensée d’aller l’attaquer. Si ce n’est pour le présent, dit-on, c’est pour l’avenir, pour le cas où la France, jetée dans des révolutions ou des expériences nouvelles, reprendrait un rôle d’agression contre ses voisins. On sait ce que veulent dire ces prévoyances d’avenir qui commencent par troubler toutes les relations naturelles dans le présent, et on sait aussi ce que valent ces grandes alliances qui se donnent pour les gardiennes de la paix.

Ce n’est pas la première fois, même dans des temps relativement récens, qu’il y a eu de ces combinaisons de diplomatie qui se disent pacifiques, conservatrices du repos de l’Europe. Il y a dix ans déjà, M. de Bismarck, ce grand conservateur de ses intérêts, se faisait le promoteur de cette alliance fameuse des trois empereurs, qui se formait naturellement pour garantir la paix et qui était, elle aussi, quelque peu dirigée contre la France. C’était la grande sauvegarde, et il est certain qu’à eux trois, ces empires unis pouvaient bien, s’ils le voulaient, préserver le monde de tous les conflits. Depuis cette époque, des guerres sanglantes n’ont pas moins éclaté en dépit des pactes pacifiques ; la France, qu’on mettait en suspicion, n’y a été pour rien, à ce qu’il nous semble, et de la grande alliance qu’est-il resté bientôt ? Les ambitions, les intérêts ont fait renaître les divisions, et c’est tout au plus si, par instans, il n’y a pas eu la guerre entre les puissans alliés de la veille. L’alliance des trois empereurs a fait son temps ; elle a été remplacée depuis par l’alliance des deux empereurs d’Allemagne et d’Autriche, qui se complète aujourd’hui par l’accession de l’Italie, qui naturellement est formée plus que jamais pour le maintien de la paix et aussi contre la