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médecin magnétiseur. Je dois me contenter de l’hôtel ; c’est affreux, rien de personnel, rien qui satisfasse vos préférences, vos habitudes. Personne pour vous recevoir à l’arrivée ; il faut jouer des coudes à travers la foule : un comptoir se présente, portant un livre où vous inscrivez votre nom et que tout le monde vient feuilleter à sa guise. Derrière le comptoir, un homme vous regarde dans le blanc des yeux ; il a l’air de dire : « Que diable voulez-vous ? » Puis, après ce regard, il ne vous accorde plus la moindre attention. Il vous jette une clé, appuie sur le timbre. Un sauvage irlandais paraît : « Emmenez-le, » semble-t-il dire à l’Irlandais ; mais tout cela s’accomplit en silence. Vous avez beau demander : « Qu’allez-vous faire de moi, s’il vous plaît ? » — Attendez, vous verrez bien, répond le lugubre silence. Autour de vous la foule est grande, mais grande aussi est la tranquillité. De temps à autre, vous entendez quelqu’un cracher. Des milliers de gens se pressent dans cet horrible édifice ; ils se repaissent ensemble dans une grande salle aux murs blancs, éclairée par des centaines de becs de gaz et chauffée outre mesure. Cette lumière, cette chaleur furieuse semblent donner à toutes choses un relief, une netteté abominables ; pas de mystères dans les coins, pas d’ombre favorable aux visages. Vos voisins ont l’air hagard et sévère ; on dirait que les passions, les goûts, les sens leur font défaut. Ils mangent en silence sous l’impitoyable réflecteur ; de temps à autre, un cri d’enfant éclate impérieux. Les domestiques sont noirs et désagréablement familiers. Ils n’ont aucune politesse ; s’ils vous adressent la parole, en revanche, ils ne vous répondent jamais. Ils se plantent près de votre coude, vous sentez leur présence tout en dînant ; ils vous observent comme si vous étiez une bête curieuse, ils vous inondent d’eau glacée, et ne vous donnent pas autre chose ; si vous lisez le journal, ils se penchent sur votre épaule et le parcourent avec vous. Alors je le plie et le leur présente ; ces misérables feuilles sont vraiment dans le goût africain. Figurez-vous maintenant de longs corridors défendus par des courans d’air brûlant ; au milieu glisse, comme un fantôme, quelque petite fille pâle sur des patins de salon. « Place ! » vous crie-t-elle. Elle a des rubans dans les cheveux, une robe tout en ruches et en falbalas ; elle fait ainsi le tour de cet immense hôtel. Je songe naturellement à Ariel, qui mit en quarante minutes une ceinture à la terre, et je me demande ce qu’il put bien dire en passant.

Un garçon, noir comme de la suie, me pousse un plateau dans les reins. Ce plateau est chargé de grandes carafes ; je reconnais l’inévitable liquide. Nous mourons d’eau glacée, de calorifères et de gaz. Je pense à ces choses, assis dans ma chambre, — une vraie chambre de torture : murs blancs, imitations de bronze,