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reconnaître une sorte de suzeraineté à leurs adversaires et à leur envoyer chaque année une ambassade et des présens. Pressée à l’ouest par l’inévitable Angleterre et à l’est contiguë à la Chine, la Birmanie, ou du moins ce qu’il en reste d’indépendant, se trouve dans la même situation critique que le Népaul. Cependant le roi et son peuple haïssent mortellement les Anglais, et peut-être les Birmans, gardiens jaloux des passes qui conduisent de chez eux en Chine, n’ont-ils pas été tout à fait étrangers au meurtre de l’infortuné Margary[1]. Il faut avoir sous les yeux une traduction de la Gazette de Pékin pour savoir en quels termes le farouche roi de Birmanie, aussi cruel que le roi nègre du Dahomey, s’humilie devant son maître et seigneur. Mais peut-être ne fait-il si grand bruit de sa soumission que pour persuader aux Anglais qu’en achevant de s’annexer la Birmanie, la Chine pourrait bien leur déclarer la guerre. Peine perdue, car il n’entrera jamais dans l’esprit de nos voisins que l’empereur de Chine puisse les menacer un jour d’une rupture. Il n’y a que notre France, — avec ses fréquens changemens de ministères, les indécisions des personnages qui la gouvernent, leur incapacité reconnue à diriger jusqu’ici les affaires extérieures, — qui se trouve exposée à cette humiliante éventualité d’une déclaration de guerre par l’empire chinois.

Le royaume de Siam, plus éclairé, plus éloigné de l’astre qui brille à Pékin que les petits satellites dont nous venons de parler, s’est décidé en 1870 à ne plus envoyer à l’empereur de Chine ni hommage ni lettre de soumission. Les Anglais, qui sont très influens à Bangkok, n’ont pas dû être étrangers à cette résolution. A la vérité, le royaume de Siam n’a jamais été conquis, comme tant d’autres, par les armes chinoises, et s’il envoyait à l’empereur céleste des présens, c’était simplement pour reconnaître la protection que ses marchands trouvaient en Chine. Cependant, comme l’on a beaucoup de mémoire à la cour de Pékin et qu’il y a un ministre chargé de veiller à l’observation des rites et des vieilles coutumes, l’impertinent oubli de la cour de Siam fut signalé en haut lieu. Pour rappeler habilement cette dernière au souvenir de ses devoirs, le gouvernement chinois imagina donc de se faire écrire par le gouverneur-général du Foh-Kien qu’un ambassadeur s’était présenté devant lui, porteur des excuses des rois siamois, et que, si une ambassade ne s’était pas rendue plus tôt de Bangkok à Pékin par la voie de terre, c’était par crainte de tomber aux mains des rebelles Taï-Pings. Ceci fut inséré dans la Gazette de Pékin, et peu

  1. Les Nouveaux Ports ouverts de la Chine, dans la Revue du 15 février 1878.