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la forme républicaine. Mais, d’autre part, si nous prenions parti pour un autre gouvernement, quel qu’il fût, nous attirerions sur nous les animosités dont il serait l’objet. Nous rendrions ainsi la France capable de contracter des alliances, ce qui n’est pas aujourd’hui le cas. » Ce qu’écrivait M. de Balan le 23 novembre 1872 est tout à fait conforme aux récentes déclarations de la gazette officieuse de Berlin, et si nous étions moins oublieux, nous nous épargnerions d’inutiles et désagréables surprises.

Nous savons exactement quels souhaits M, de Bismarck forme à notre égard, nous avons plus de peine à démêler, à pénétrer les sentimens que nous a voués l’Italie. Assurément le langage de la plupart des journaux de la péninsule n’a rien de flatteur pour nous ; mais peut-être aurions-nous tort de prendre trop au sérieux leurs incartades. Nous n’avons manqué aucune occasion de rappeler à nos voisins du Midi tout ce qu’ils nous devaient, et notre insistance leur a paru indiscrète ; heureusement ils n’oublient guère ce qu’ils se doivent à eux-mêmes, et ils ne trouveraient aucun profit à se brouiller avec nous. « Nous sommes la plus jeune des nations, nous disait un Italien distingué, mais nous sommes le plus vieux des peuples. L’expérience des siècles a laissé un dépôt au fond de notre conscience, et il en résulte que cette conscience ne ressemble pas aux autres ; elle est moins prompte à s’émouvoir et aussi à se scandaliser. » Mais si la conscience de l’Italien se scandalise difficilement, il a l’esprit trop ouvert, une intelligence trop vive de ses intérêts pour souhaiter sincèrement notre perte. C’est quelquefois une garantie que l’égoïsme intelligent.

L’Italie est une des nations les plus intéressées au maintien de l’équilibre européen, l’une de celles dont la sûreté serait le plus compromise par une diminution trop sensible de l’influence et de l’action de la France. Le jour où, d’accroissement en accroissement, l’empire dont Berlin est la capitale s’étendrait jusqu’à Trieste, le roi d’Italie ne se sentirait pas chez lui à Venise, et le jour où nous ne serions plus en état de nous faire respecter, l’admirable pays qui vient de célébrer le centenaire de Raphaël risquerait de tomber de nouveau dans un dur vasselage. Les Italiens qui, tout en nous disant des injures, affirment que nous sommes nécessaires à l’équilibre de l’Europe, sont certainement de bonne foi. Quant à la forme de notre gouvernement, ils ont à cet égard une opinion moins nette, moins arrêtée que M. de Bismarck, ils jugent la république moins inoffensive qu’il ne le dit, ils redoutent davantage la contagion du mauvais exemple. D’autre part, ils redoutent aussi les hasards des restaurations. Ils savent que la dynastie qui a leurs préférences est celle qui a le moins de chances de nous agréer, et ils sont persuadés que si le comte de Chambord montait sur le trône, son premier soin serait de marcher sur Borne pour y rétablir le