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alliance offensive, ni d’une entente dirigée contre nous, ni même d’une garantie réciproque des territoires des contractans.

Nous croyons sans peine à la sincérité des déclarations de M. Tisza. La monarchie austro-hongroise serait bien mal inspirée si elle travaillait à notre diminution. Qu’a-t-elle à craindre de nous ? Quel démêlé pourrions-nous avoir ensemble ? Quel intérêt pourrait nous diviser ? Pour se mettre à l’abri des assauts du panslavisme, elle a conclu avec l’empire allemand un mariage de convenance et de raison. Ces mariages ont leur prix, mais ils ont peu de douceurs, ils sont sans illusions comme sans poésie, ils ignorent les joies de l’amour. En s’alliant à M. de Bismarck, l’Autriche s’est affranchie des soucis que lui causait l’humeur inquiète de son voisin de l’Est ; mais M. de Bismarck se fait payer les services qu’il rend. Quelqu’un prétendait que sa pensée secrète est de faire de l’Autriche une puissance orientale et de la Russie une puissance asiatique. L’Autriche a dans l’Occident des intérêts qu’elle ne saurait sacrifier sans compromettre son existence, et il est à présumer qu’en acceptant les conseils qui lui viennent de Berlin, elle se réserve le bénéfice d’inventaire. M. de Bismarck sera plus sûr de la tenir depuis que l’entente à deux s’est transformée en une triple alliance. En revanche, l’Autriche y a trouvé l’avantage de n’avoir plus à craindre les complots des irrédentistes italiens. Le cabinet de Rome s’est engagé à oublier le Trentin et Trieste, il s’est converti à la politique conservatrice. Le voilà devenu l’un des gendarmes de l’Europe. Le premier devoir d’un gendarme est de ne pas laisser ses mains s’égarer dans les poches de son prochain.

Ce qui vient de se passer ne doit nous causer ni effarement, ni dépit, ni mauvaise humeur. Le dépit est un détestable conseiller, la mauvaise humeur ne remédie à rien, et notre effarement serait peu justifié. La triple alliance, qui s’est formée entre des puissances qui ont elles-mêmes beaucoup de précautions à prendre les unes avec les autres, ne nous menace d’aucun danger immédiat, et on sait ce que valent des combinaisons annoncées à grand bruit, ce qu’a duré l’union des trois empereurs, comment elle a fini et combien il est vrai de dire que « les amitiés de la terre s’en vont avec les années et les intérêts. » Toutefois nous aurions tort de regarder d’un œil trop tranquille la situation qui nous est faite, d’en prendre trop facilement notre parti. Tout le monde se défend de vouloir nous offenser ; on ne laisse pas de nous mettre à l’interdit, de nous retrancher de la société des gens de bien, on nous condamne à faire notre pot à part. Cela rappelle l’histoire de cet homme qui avait reçu sur sa joue un coup de la main d’un jésuite. On agita pendant des mois la question de savoir s’il l’avait reçu de l’avant-main ou de l’arrière-main, et si un coup du revers de la main sur la joue doit être appelé soufflet ou non. Pascal décida que