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article où la fille de Capet et les Bourbons émigrés étaient désignés sous les noms qu’ils portaient autrefois, et quand M. de Thugut lui représentait les obligations de cœur de son souverain ou les ménagemens qu’on devait avoir pour l’empereur de Russie qui s’était déclaré le défenseur de Louis XVIII, il lui répliquait insolemment : « Qu’importe la fureur délirante de ce tyran du Nord ? La république française brave et dédaigne ses menaces. Bientôt ce tigre à figure humaine sera attaqué lui-même au cœur de ses états. » M. Masson a raison de le dire, « le particulier et l’étrange, c’est que cette politique à coups de sabre lui réussissait fort bien. »

Voilà des procédés qui ne sont plus à notre usage, et une diplomatie savante et correcte nous est bien nécessaire pour nous remettre sur un bon pied en Europe. Mais que peut l’habileté de nos diplomates quand le gouvernement qu’ils représentent est sujet à de perpétuelles éclipses ? Il était là tout à l’heure, on le cherche, on ne le voit plus. Puissent les mortifications qu’on nous fait ressentir servir de leçon à nos députés ! Puissent-ils se rendre compte de tout le dommage qu’ils nous ont causé par leurs perpétuelles préoccupations électorales, par leurs goûts dépensiers qui ont compromis notre fortune, par leurs discussions passionnées sur des affaires de bibus, par leurs défaillances dans la question d’Egypte, et surtout par leur indiscipline, qui nous condamne à n’avoir que des ministères d’un jour ! Un Italien disait récemment à l’un des correspondans d’un journal anglais : « L’Italie n’est pas intéressée à l’agrandissement des puissance centrales de l’Europe ni à l’humiliation de la France. Elle a été contrainte par les circonstances de rechercher la faveur de l’Allemagne. Elle préférait l’amitié d’un peuple avec lequel elle a tant d’affinité, mais aucun ministère français n’a pu durer depuis 1876. » Peu importe que cet Italien fût absolument sincère ; le malheur est qu’il disait vrai, et que nous n’avons rien à lui répondre. Qui pourrait compter sur nous quand nous ne pouvons pas compter sur le lendemain ? Un gouvernement républicain a plus besoin qu’un autre de se faire prendre au sérieux et d’inspirer la confiance. Il peut se passer de gloire, il ne peut se passer d’estime. Avec la considération, tout nous reviendra, le crédit, les amitiés et le reste, et, sans cesser d’être pacifiques, il nous sera permis d’être aussi fiers que circonspects. « Évite soigneusement les querelles, disait Polonius à son fils Laërte ; si elles viennent te chercher, prouve à ton adversaire que tu es un homme dont il faut se garder. »


G. Valbert.