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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 57.djvu/230

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faute de sa mère ; il ne restait de l’un qu’une fortune et de l’autre qu’un portrait : point de combat, en somme, faute de combattans. La comédie de M. Sardou mettait le fils naturel et son père aux prises, mais tout juste pour qu’ils pussent s’embrasser : dès que ce vieux don Juan soupçonnait ce petit Grandisson d’être son fils, il se fondait en amour ; ici, d’ailleurs, c’étaient la mère et le père légal qui avaient pris soin de trépasser. M. Delpit trouve ces conditions trop douces ; de même pour le Fils de Coralie avait-il dédaigné les conditions du Fils naturel : Jacques Vignot refuse de reconnaître son père, le capitaine Daniel serait bien embarrassé de connaître le sien. Où les autres ne se hasardent que sur la pointe du pied et pour s’empresser de déguerpir, M. Delpit saute à pieds joints et se carre ; où les autres ne touchent qu’à peine, il s’établit. Mais son courage, nous l’avons vu, n’est pas une effronterie stérile : s’il se plaît dans les lieux escarpés, nous savons quelles beautés tragiques il y trouve.

Assurément, le comble de l’imprudence eût été de signer cette pièce Bergerat et de la faire jouera l’Odéon, voire même à Bruxelles, où l’auteur du Nom vient de faire écouter jusqu’au bout Herminie. L’auteur du Fils de Coralie a profité de son crédit pour imposer au public le Père de Martial. Il a profité aussi de l’autorité que lui prêtait l’excellente troupe du Gymnase : M. Landrol, qui représente Pierre Cambry avec un art consommé de comédien ; M. Marais, qui se dépense généreusement, dans le rôle de Martial ; Mme Pasca, une tragédienne en robe de dame ; Mlle Lemercier, une touchante ingénue ; MM. Barbe, Lagrange, Bertal, Noblet. Moins bien défendu par le nom de l’auteur et par le talent des interprètes, ce drame n’eût peut-être pas dompté la fortune avec autant de superbe qu’il l’a fait : c’eût été dommage pour le public de la centième et pour l’honneur des lettres.


LOUIS GANDERAX.